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Paris, France
Ce blog est celui de la conversation libre. Autour des arts, des livres, de la télévision ou de tout autre sujet de culture mais aussi - n'est-ce pas culturel ? - de la politique. C'est dire, simplement, que sur ce blog on parlera de tout. Je le nourrirai au rythme de mon inspiration, de mes rencontres, de mes visites, de mes lectures, de mes poussées d'admiration ou de colère aussi. Que chacun, ici, intervienne. Que l'on discute les uns avec les autres.. Voilà l'ambition de ce blog. Un mot encore sur le titre. "Mon oeil", c'est ce que je vois, mais c'est aussi, vieille expression, une façon de dire que l'on n'est pas dupe et que l'esprit critique reste le maître contre par exemple le "politiquement correct" et contre les idées reçues, de droite comme de gauche. ************************************************************************************* Pour les amateurs d'art, je signale cet autre blog, plus spécialisé sur l'art et les artistes, les expositions, les formes d'expression d'ici et d'ailleurs, d'hier et d'aujourd'hui: http://monoeilsurlart.blog4ever.com/blog/index-350977.html

mardi 3 août 2010

Jean-Pierre Rodrigo: la passion cactus

La peinture, la céramique, l'art puisent dans la nature humaine les ressources les plus vives. Dans son exposition, montrée à Montcuq jusqu'au 11 juillet, Jean-Pierre Rodrigo a présenté une impressionnante série sur un thème étonnant : « Cactus y figues de Moro » ( Cactus et figuiers de Barbarie ). Des céramiques, blanches le plus souvent, aux arêtes taillées dans le vif ; aux ombres à la fois ténues et puissantes ; à l'allure de Golems qui se cachent sous la forme appelée cactus. Des panneaux aux tons assourdis, l'un noir et ocre, avec, tracés en réseaux des lignes comme sur le tableau de l'école, qui dessinent une trame de ces cactus appelés à la vie et à la fructification et plus bas au plus profond, le réseau souterrain des racines qui puissent dans la terre leur substance, la mémoire et leur force nourricière. Un autre panneau, rouge et fumée bleue, invite à mêler les apparences du cactus ( nourriture et boisson du désert, étancheur de la soif des nomades ) et le canari de l'Afrique et de la Bible, le "Cantir" de la Catalogne, qui, lui aussi, assure une eau rafraîchissante au voyageur d'ici bas.

Cette thématique du cactus, Jean-Pierre Rodrigo s'en est expliqué dans une interview donnée à "La Dépêche du Midi". « Après le décès de mon épouse France, en 2003, plusieurs thèmes ont surgi, dont celui des cactus. Elle les aimait, les ramassait, et me chargeait de les mettre en pot. J'ai ressenti le besoin de faire un lien en les peignant » dit-il.



Essayons d'aller plus avant dans l'analyse de ce qu'a traduit ainsi Jean-Pierre Rodrigo avec sa fibre d'artiste. Et d'abord, comparons. Comparaison n'est pas raison. Même en art. On va le voir.



On sait comment Claude Viallat, le Nîmois et grand peintre à l'immense renommée internationale, a fait d'une simple éponge l'objet de tout son travail artistique depuis des dizaines d'années. On sait aussi combien cet objet qui est toujours le même et son empreinte qui est toujours identique à elle même, sont aussi, à chaque fois, tout autres et tout différents.

Pour Viallat, qui est l'un des fondateurs du groupe « Supports/Surface » ( et qui a été, doit-on le rappeler ? un des proches du Cadurcien Bernard Pagès ) l'exercice est l'application d'une théorie en rupture avec la figuration, l'abstraction lyrique ou géométrique. Dans leur Manifeste, les artistes du groupe expliquaient : « L'objet de la peinture, c'est la peinture elle-même et les tableaux exposés ne se rapportent qu'à eux-mêmes. Ils ne font point appel à un « ailleurs » (la personnalité de l'artiste, sa biographie, l'histoire de l'art, par exemple). Ils n'offrent point d'échappatoire, car la surface, par les ruptures de formes et de couleurs qui y sont opérées, interdit les projections mentales ou les divagations oniriques du spectateur. La peinture est un fait en soi et c'est sur son terrain que l'on doit poser les problèmes.
 Il ne s'agit ni d'un retour aux sources, ni de la recherche d'une pureté originelle, mais de la simple mise à nu des éléments picturaux qui constituent le fait pictural. D'où la neutralité des œuvres présentées, leur absence de lyrisme et de profondeur expressive. »

Or il se trouve que Jean-Pierre Rodrigo a précisément exposé en 2003 au Musée Henri-Martin de Cahors dans le cadre de la mémorielle « Nationale 20 / 1978-2003, que s'est-il passé? », ses « Molinos para el Quijote », une dizaine de ses peintures, à côté de celles de Claude Viallat. ( Mais aussi de Louttre B., Bernard Pagès, André Nouyrit, Jean-Pierre Pincemin, Jean Rédoulès, et Michel Zachariou…). D'où surgit cette question en retour sur Viallat: Alors, Rodrigo avec son obsession du cactus, son obstination créative, sa répétition du motif devrait-il être classé côte à côte avec Claude Viallat ? Dans cette mouvance de Supports/Surface? Ma réponse fuse: Eh bien pas du tout! Et c'est parfait ainsi. Jean-Pierre Rodrigo est ailleurs, sur un autre territoire, dans une tout autre dimension de la création qui est celle de la vibration sensible. Il est chez lui, dans son propre univers qui est celui de la mémoire et de la vénération. L'objet existe, se manifeste, s'expose non pas pour lui même, mais pour ce qu'il contient, recèle, révèle de présence dissimulée, secrète. La répétition, c'est aussi le principe de la litanie qui est une des formes religieuses de l'hommage et de l'invocation.

Les cactus de Rodrigo sont du genre sensitif. Et s'il me fallait faire une allusion à un artiste, et pour moi celui-ci est l'un des plus grands contemporains, c'est à plutôt à Cy Twombly que je penserais. À Twombly, dans ses sculptures de plâtre blanc ( je songe d'emblée à « Thermopylae » ou à « Cycnus » ) ou à Twombly dans ses tableaux noirs à la puissance évocatrice inouïe.

Mais foin de remémorations, voyons d'abord les œuvres de Jean-Pierre Rodrigo, regardons les, écoutons leur murmure, laissons nous séduire par leur appel. Il y a là une vibration ou plutôt un vibrato spécifiques. Une musique qui vient de si loin et qui nous touche au plus profond.

J B

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