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Paris, France
Ce blog est celui de la conversation libre. Autour des arts, des livres, de la télévision ou de tout autre sujet de culture mais aussi - n'est-ce pas culturel ? - de la politique. C'est dire, simplement, que sur ce blog on parlera de tout. Je le nourrirai au rythme de mon inspiration, de mes rencontres, de mes visites, de mes lectures, de mes poussées d'admiration ou de colère aussi. Que chacun, ici, intervienne. Que l'on discute les uns avec les autres.. Voilà l'ambition de ce blog. Un mot encore sur le titre. "Mon oeil", c'est ce que je vois, mais c'est aussi, vieille expression, une façon de dire que l'on n'est pas dupe et que l'esprit critique reste le maître contre par exemple le "politiquement correct" et contre les idées reçues, de droite comme de gauche. ************************************************************************************* Pour les amateurs d'art, je signale cet autre blog, plus spécialisé sur l'art et les artistes, les expositions, les formes d'expression d'ici et d'ailleurs, d'hier et d'aujourd'hui: http://monoeilsurlart.blog4ever.com/blog/index-350977.html

vendredi 13 juillet 2012

Pierre Soulages : L'intelligence de la peinture.


Qui prétendrait « expliquer » une peinture de Pierre Soulages ? Ni un critique d’art conscient, ni un philosophe, fût-il le plus pointu… Ni d’ailleurs l’artiste lui-même. N’a t-il pas dit : « La peinture est l’état d’absence de mots » et aussi : « Ce que je fais n’est pas du domaine du langage ». Ces petites phrases qui vont loin, Françoise Jaunin les lui rappelle dès le seuil du livre qu’elle consacre à de vertigineuses interviews de ce peintre, le plus reconnu internationalement et le plus célébré des artistes français. ( Le livre :  « Pierre Soulages, Outrenoir ». Entretiens avec Françoise Jaunin, La Bibliothèque des Arts, Lausanne, 2012 ).

L’avantage avec Pierre Soulages est que cet homme de terroir est aussi un homme de mots. Il a beaucoup lu  - des poètes notamment-, beaucoup vu, beaucoup réfléchi, beaucoup discuté aussi avec les plus hautes sommités de la philosophie, de l’histoire, de la science, de l’art…  Et il parle. Il parle toujours avec une luminosité d’expression qui éclaire les recoins les plus obscurs de la création et ouvre les voies qui conduisent comme il dit, « au bord de la peinture ». S’il ne prétend pas « expliquer » sa peinture, il donne les clés de son accès. Et ce faisant, il permet de comprendre le travail et le chemin d’autres artistes, ses contemporains certes, mais aussi de tous ceux qui ont dessiné, peint, créé depuis l’aube des temps. Françoise Jaunin a su interroger Pierre Soulages de telle façon que l’artiste puisse exposer sa conception de l’art.

Sur son œuvre d’abord il institue un cadre général : « Mes tableaux sont des objets poétiques capables de recevoir ce que chacun est prêt à y investir à partir de l’ensemble de formes et de couleurs qui lui est proposé. Quant à moi, je ne comprends ce que je cherche qu’en peignant. (…) C’est ce que je fais qui m’apprend ce que je cherche. Ma peinture est un espace de questionnement et de méditation où les sens qu’on lui prête peuvent venir se faire et se défaire.(…) Je ne demande rien au spectateur, je lui propose une peinture : il en est le libre et nécessaire interprète ».

Sur sa vie, au fil des entretiens, Pierre Soulages décrit le parcours qui fut le sien depuis la chambre d’enfant où il découvre une tache de goudron sur un mur en face de sa fenêtre. «  J’étais attiré par cette tache, Je la trouvais belle ». Un jour la regardant à nouveau, il décèle, comme dans le test de Rorschard, l’image d’un coq. Cette interprétation fortuite le déçoit profondément jusqu’au moment où se rapprochant de cette coulure de goudron il retrouve la tache dans sa splendeur première. « Je préférais de très loin la beauté brute de ma tache à la banalité du coq ». Le voilà déjà bien au delà de ce que lui propose l’École des Beaux Arts où il ne passera –victorieusement – que le concours d’entrée avant de s’enfuir de ce qui était alors de temple de la représentation figurative.

La guerre le retrouve - il a vingt ans - près de Montpellier où il devient viticulteur et… voisin de l’écrivain Joseph Delteil. Avec lui il parle vigne et raisins. « Les gens qui nous entendaient pensaient que nous parlions de viticulture. Ils ne se rendaient pas compte que nous parlions d’art ». Il y parle aussi d’art abstrait. Mais pour la première fois de sa vie, en 1944, avec Sonia Delaunay en visite chez Delteil. 

À la Libération, à Paris, ses premières toiles au brou de noix apparaissent comme des Ovni. Elles sont loin de plaire aux habitués des Salons.  D’ailleurs en 1947, le Salon d’Automne les lui refuse. Il se dirige alors vers le Salon des Surindépendants où elles sont remarquées par Picabia, Hartung, Atlan, Goetz… et un médecin allemand qui les montre dans cinq musées d’outre-Rhin. Le coup de pouce ou de projecteur est efficace. En 1948, débarque chez Soulages un certain James Johnson Sweeney qui n’est autre que le conservateur des peintures au Museum of modern art de New York qui lui achète un brou de noix. New York accueille Soulages. Il y expose. Son succès lui ouvre alors  toutes les portes de la renommée internationale. On connaît la suite glorieuse.

Né dans le Rouergue, Pierre Soulages se révèle en parfaite harmonie avec les paysages de ce pays : « J’aime les Causses, les déserts, les arbres nus. Les Causses, les hauts plateaux de l’Aubrac, c’est à la fois mon pays natal et mon pays d’élection.(…) J’aime ce dépouillement qui nous ramène à l’essentiel ». Il aime aussi «ce qui (lui) est fraternel : la terre, les pierres, le vieux bois, le goudron, le fer rouillé… toutes choses qui m’ont marqué ».

Son pays, c’est aussi la peinture et les artistes que Soulages place au plus haut (liste non exhaustive): « les peintres de la préhistoire (Pech Merle, Altamira ou Lascaux), Manet, Zurbaran, Courbet, Piero della Francesca, Frans Hals… » Et quel qu’en soit la datation, il s’agit toujours d’un art vivant : « Quand je regarde, quand j’aime un tableau de Piero della Francesca ou une œuvre mésopotamienne ou une de ces étonnantes figures animalières de la grotte Chauvet, je suis sur que je les rends actuels. Ils me deviennent contemporains ».

L’ensemble des entretiens avec Françoise Jaunin révèle aussi les expériences de Pierre Soulages dans la création de décors de théâtre, l’architecture de sa maison de Sètes et de ses jardins, son incursion dans la télévision pour un programme sur l’art, sa fabrication de ses instruments pour peindre ; il éclaire ses interventions dans la gravure et dans l’art du vitrail qu’il a mené jusqu’à la perfection dans la conception des 104 verrières de l’abbatiale de Conques…  Pierre Soulages explique aussi en quoi sa peinture se distingue du monochrome, de l’arte povera et de la peinture gestuelle : « Le geste véhicule généralement des états d’âme. Quand on regarde un tracé, on est impliqué dans la psychologie du peintre, on peut dire : là, sa main tremblait, c’était l’émotion… Là, il était rageur, là serein… Non, l’anecdote romantique n’a rien à voir avec mon histoire. » Et comme une profession de foi, cette assertion : « Ni figures, ni figuration de mouvements, ni états d’âme, la peinture n’a pas à représenter autre chose qu’elle-même. Ce qui veut dire qu’elle renvoie le spectateur aussi à lui-même ». 


JB.

mardi 10 juillet 2012

Ossip Zadkine... vu de très près.


Il arrive que l’on passe à côté d’un livre sans le remarquer et que des années plus tard on le retrouve sur sa route. C’est ainsi que je viens de découvrir un petit volume de la « Collection Pergamine » de « La Bibliothèque des Arts » ( Lausanne ) paru en 1995 et encore disponible chez l'éditeur. Il s’agit d’ « Avec Zadkine, souvenirs de notre vie » de Valentine Prax, l’épouse du grand sculpteur. J’avais eu le bonheur de déjeuner chez eux en 1957 aux Arques dans le Lot. J’y étais avec mon père qui venait photographier Zadkine et ses sculptures. Quant à moi je réalisais alors ma première interview d’un « maître » dont le texte était destiné au journal imprimé du Lycée Gambetta de Cahors, « L’Éclectique » ( et qui figure dans la bibliographie de Zadkine ). C’est dire que le livre, illustré de photographies et de dessins de Zadkine et de Valentine Prax, avait tout pour m’intriguer… Il m'a vraiment intéressé et je suggère sa lecture à tous ceux qui aiment l'art et son histoire humaine.

            Dans le récit que cette artiste peintre fait de sa rencontre avec Zadkine, j’ai retrouvé sa sensibilité, sa gentillesse naturelle et son amour passionné pour Ossip. Ce grand voyage d’une vie débute en 1918 à Bône en Algérie d’où Valentine est originaire. Un Russe, officier du tsar, se retrouve pour quelque semaines dans sa maison et lorsqu’il part pour Paris il lui confie comme un trésor le sabre que lui avait offert Nicolas II. Valentine qui étudie le dessin et la peinture aux Beaux Arts d’Alger a 21 ans. Elle rêve d’aller voir se qui se passe dans la capitale. Et d’aller y tenter sa chance d’artiste. Elle est seule dans la métropole où elle ne connaît que « son Russe ». Celui-ci ne lui offre pas de l’épouser –ils sont trop pauvres- mais lui indique un atelier, proche de Montparnasse, rue Rousselet. Il lui signale aussi qu’au deuxième étage vit un sculpteur. Un jour elle prend son courage à deux mains et frappe à la porte de l’atelier : Ossip Zadkine la fait entrer.

         Déjà intransigeant, il n’encourage pas Valentine à poursuivre sa carrière artistique mais il la trouve sympathique et lui fait vite rencontrer, à la Rotonde, sa bande de copains : Soutine, Modigliani, Ehrenbourg, Foujita, Henry Miller… Zadkine parfois s’éclipse pour Bruniquel,  dans le Tarn-et-Garonne. À son retour il montre ses dessins et ses gouaches à Valentine. Elle lui montre les siens et, miracle, entend : « Je me suis peut être trompé sur ton compte. Tu as du talent. Fuis les écoles ». Un jour, de Bruniquel où il est reparti travailler, Zadkine envoie un télégramme à Valentine : « Viens. Parlerons mariage ». Nous sommes en 1920. Ossip a trente ans. Valentine 23. Ils se marient à Caylus.
        
         Ils travaillent, commencent à être reconnus. Des galeries s’intéressent à eux. Ils emménagent rue d’Assas. Ils voyagent. En Grèce, au Japon. Vers 1935, ils achètent une grange aux Arques dans le Lot, où ils posent définitivement leurs valises. Zadkine, assure Valentine, apprécie «  les arbres, la forêt, les collines la solitude et en particulier le pays de Quercy ». « Plus que moi encore, il vouait une admiration sans borne envers la perfection des éléments du monde végétal : forme d’une feuille, ligne d’une branche, dessin d’une nervure, galbe d’une racine, puissance d’un tronc. Il regardait et touchait avec ferveur… »

           La guerre, hélas, va rompre cette belle harmonie. Zadkine qui est juif réussit à partir pour les États-Unis ( où il a déjà exposé avec succès ) alors que son épouse reste en France. Longue époque de douleurs et de discordes à travers l’Océan…  Mais Zadkine, « malade, malheureux, sans argent », finit par revenir au bercail. De la rue d’Assas aux Arques, d’expositions en inaugurations de monuments, à Amsterdam, à Rotterdam, au Canada, aux Etats-Unis, au Japon, à Auvers-sur-Oise… le couple reformé mène dès lors une vie d’artistes à la renommée internationale. Zadkine meurt à Paris le 25 novembre 1967.

             Valentine Prax lui survit. Elle se lance alors dans la création, du musée Zadkine au 100 rue d’Assas où ils ont vécu et travaillé depuis 1928. Le fonds est constitué de plus de 300 œuvres. Quand elle meurt, en 1981, Valentine Prax lègue tous ses biens au musée.

JB.


 Illustration: Ossip Zadkine dans son atelier des Arques avec sa "Pieta". ( 1957 ) Photographie Léon Bouzerand.