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Paris, France
Ce blog est celui de la conversation libre. Autour des arts, des livres, de la télévision ou de tout autre sujet de culture mais aussi - n'est-ce pas culturel ? - de la politique. C'est dire, simplement, que sur ce blog on parlera de tout. Je le nourrirai au rythme de mon inspiration, de mes rencontres, de mes visites, de mes lectures, de mes poussées d'admiration ou de colère aussi. Que chacun, ici, intervienne. Que l'on discute les uns avec les autres.. Voilà l'ambition de ce blog. Un mot encore sur le titre. "Mon oeil", c'est ce que je vois, mais c'est aussi, vieille expression, une façon de dire que l'on n'est pas dupe et que l'esprit critique reste le maître contre par exemple le "politiquement correct" et contre les idées reçues, de droite comme de gauche. ************************************************************************************* Pour les amateurs d'art, je signale cet autre blog, plus spécialisé sur l'art et les artistes, les expositions, les formes d'expression d'ici et d'ailleurs, d'hier et d'aujourd'hui: http://monoeilsurlart.blog4ever.com/blog/index-350977.html

mercredi 29 septembre 2010

Tintin et Milou : au rendez-vous des souvenirs...




© Hergé – Moulinsart 2010

Il apparait de plus en plus évident que Tintin est le grand héros du XXème siècle. Quand on sait que Charles De Gaulle avait vu dans ce personnage né dans l’imagination fertile d’Hergé, ( Georges Remi, 1907-1983 ), son seul véritable rival. Quand on a lu que Laurent Fabius classe Hergé parmi les douze grands peintres de l’histoire de l’art ou que l’académicien Michel Serres en fait un sujet de profondes réflexions… on ne doute plus.

J’avais 7 ans quand j’ai découvert Tintin, il ne m’a plus quitté. Et lorsqu’en 1975 je suis allé interviewer Hergé à Bruxelles dans ses bureaux et quand celui-ci m’a dédicacé un volume de « Vol 714 pour Sidney » en accompagnant son petit mot sympathique d’un portrait dessiné de sa plume de Tintin avec Milou, j’étais aux anges. Pensez : j’étais dès 1948 membre du Club Tintin.

Foin de nostalgie personnelle, voici de quoi raviver pour chacun tous les souvenirs liés à Tintin. Deux superbes ventes vont en effet se dérouler prochainement. La première, celle de « L’univers du créateur de Tintin », montée par Artcurial aura lieu le 9 octobre à 14 heures en l’Hôtel Marcel Dassault des Champs Élysées à Paris. La seconde, la vente « Hergé », sera organisée par Piasa le 10 octobre à 11 heures puis à 14 heures dans l’Orangerie du Château de Cheverny. Pourquoi ce château ? Parce que c’est celui qui a servi de modèle pour le château de Moulinsart, bien connu des tintinophiles.

Lors de la vente Artcurial on trouvera ainsi l’édition complète de l’édition française du « Journal de Tintin », du numéro 1 au numéro 1276, dans les reliures d’éditeur du n°1 à 94, estimée de 6 000 à 8 000 € ; les volumes de tous les albums de Tintin, de « Tintin au Congo » ( 1946 ) estimé de 4 000 à 5 000€ ; « les Cigares du Pharaon » (1942) à grande image, estimé de 25 000 à 30 000 € . Mieux, les pages originales 93 et 94 du « Sceptre d’Ottokar » (1939), estimées de 250 000 à 300 000 €… Et plus nombreux, des crayons de couleur, puzzles, cartes de vœux, objets décoratifs… Au total, 428 lots pour satisfaire toutes les envies.

Lors de la vente au Château de Moulinsart, Piasa propose de son côté 395 lots. D’entrée, le matin, une profusion de figurines ( Pixi ; Moulinsart ; Aroutcheff ; Leblon-Delienne …), de plaques émaillées et des tapis : estimations variées de 150 à 3 000 €. L’après-midi, on arrive aux journaux et périodiques, puis on passe aux albums comme « Les aventures de Tintin, reporter du petit vingtième au pays des Soviets » ( 1930), estimé de 8 000 à 10 000 €. ; « Les aventures de Tintin et Milou en Amérique » (1934), estimé de 35 000 à 40 000 €… ; tous les albums dans des éditions originales ou reamarquables.. Il y a aussi des dessins originaux : « Tintin, Milou et les animaux du paradis » , encre de chine et aquarelle, 10 000 à 15 000 € par exemple.

Une des pièces les plus extraordinaires de cette vente est le lot N° 335. Il s’agit du plan et de l’acte de vente du château de Moulinsart. Ce lot comprend également un exceptionnel ensemble composé de 1) l’acte de vente publique factice du château de Moulinsart signé de façon manuscrite par le notaire Charles Stasse. 2) « Les Aventures de Tintin au pays des Soviets ». Édition spéciale des Studios Hergé. 1969. Exemplaire n° 455 sur un tirage de 500. Album reproduisant la couverture originale à l’intérieur, dédicacé à l’encre noire « A Michel Van den Bergen, géomètre-expert de Moulinsart et prince de l’imagination cadastrale. Avec le cordial souvenir de Tintin, Haddock et Hergé» signé par Hergé, agrémenté d’un dessin représentant la tête de Tintin et de Milou, daté du 12 octobre 1976.. Bel exemplaire, quelques traces d’usure sur la couverture. 3) « Le Trésor de Rackham le Rouge » Casterman. Tirage spécial pour les journées notariales de Belgique en 1985. L’album comporte un autocollant jaune sur la couverture et un cahier broché numéroté sur 1000 exemplaires (n°2) dans lequel figure le fac-similé de l’acte de vente notarié du château de Moulinsart, le plan du château et des dépendances. Dédicacé par le notaire au géomètre-expert en 1985. C’est d’après leurs travaux que l’acte de vente factice a été réalisé et tiré à 4.000 exemplaires dont 1.000 exemplaires numérotés ont été donnés aux notaires à l’occasion des journées notariales organisées à Tournai, les 26 et 27 septembre 1985. Estimation du lot: 5 500 /7 000 €.

Intenses bagarres à prévoir dans les enchères.


ILLUSTRATIONS:


Lot N°151. "Les Aventures de Tintin et Milou en Amérique" Édition Ogéo, collection Cœurs Vaillants. 1934. Album d’un plus petit format que les albums Tintin noir et blanc parus aux éditions Casterman (dimensions :27 cm x19cm). Dos toilé vert. Dessin du premier plat identique à celui de l’édition parue en 1932 aux éditions du Petit « Vingtième ». Différents textes ont été remaniés afin de l’adapter au marché français et aux éditions Cœurs Vaillants. Rarissime exemplaire, le tirage est de seulement 2000 exemplaires, suivant une étude. État exceptionnel, intérieur dans un état d’une grande fraîcheur, certainement un des plus beaux exemplaires apparus en vente publique depuis 15 ans. Cet album, vu ses dimensions et sa fragilité, est quasiment introuvable dans une qualité comparable. Estimation : 35 000 / 40 000 €
© Hergé – Moulinsart 2010





Lot N° 335. Le plan et l’acte de vente du château de Moulinsart. Légende de la photo : - le plan du château de Moulinsart signé conjointement de manière manuscrite par Hergé et Bob de Moor, en 1976.
© Hergé – Moulinsart 2010

mardi 28 septembre 2010

Croisières André Citroën: la vente nostalgie



Je ne sais pas vous, mais moi cela me fait rêver. Ah, ces missions André Citroën à travers l’Afrique dans les années 1920-1930 ! Mais oui, c’était hier. Enfin… presque. Tous ceux qui ont dépassé le demi-siècle d’existence ont été bercés par les récits de ces traversées en territoires inconnus. La traversée du Sahara, la traversée de l’Afrique de la Croisière noire, le périple Paris-Pékin de la Croisière jaune… Louis Audouin-Dubreuil, chef eb second des Missions Citroën, fut un des principaux artisans de ces prodigieuses aventures. Et le magnifique collectionneur des souvenirs amassés : tableaux, photographies, affiches, lettres, timbres, armes, vaisselles, bijoux, étoffes, vêtements, chapeaux, objets… Longtemps, sa fille Ariane fut à travers des expositions, des conférences, des articles, des livres, le chantre, le griot de cette découverte du monde. Aujourd’hui, l’âge venant, elle a décidé de faire vivre autrement ces vestiges du passé en leur offrant une nouvelle existence chez de nouveaux amateurs, de nouveaux collectionneurs. Ils seront nombreux à venir acquérir ces petits trésors lors de la vente organisée par Aguttes, le 18 octobre, à Drouot-Richelieu. Un somptueux catalogue rassemble les images et leurs descriptifs fouillés. Exposition les 16 et 17 octobre à l’Hôtel Drouot.

Catalogue visible sur : www.aguttes.com

lundi 20 septembre 2010

L’œuvre si secrète de Manuel Alvess





Comment m’est parvenu le travail de l’artiste portugais Manuel Alvess ? Et comment le transmettre à d’autres et à d’autres pour faire émerger sur la scène française de l’art, cette œuvre riche et puissante, hélas close, Manuel Alvess étant mort en 2009? L’interrogation n’est pas innocente. Ni nouvelle, ni simple. Elle pose l’éternelle question des relations de l’artiste avec le public. La réponse est plus épineuse. Elle tient pour une large part des hasards de la vie. Mais elle fait apparaître la difficulté éprouvée par le créateur, seul devant sa toile ou dans son atelier à établir une relation avec le monde extérieur qui le concerne pourtant au premier chef, l’univers des amateurs d’art.

Or ce public là multiple, divers, dispersé, en même temps que d’un nombre réduit…, est en fin de compte, ( que l’artiste le veuille ou non ), sa cible dernière: l’art peut bien naître dans la solitude, il ne vit que dans la confrontation avec ses regardeurs. ( Nous parlons des arts plastiques ). C’est dire que les passeurs, les intermédiaires sont nécessaires. Galeries, critiques, musées, institutions… ont pour tâche - et pour raison d’être - de permettre et de favoriser l’accès ( physique, sensible et intellectuel ) du plus grand nombre aux œuvres. Ils y parviennent assez bien au total. Mais dans les marges, hors des grandes allées bien tracées, dans des chaumières, des manoirs, des châteaux alentour, beaucoup d’artistes, pour toutes sortes de raisons, échappent au recensement, et ne bénéficient pas de la « publicité », de la notoriété, qu’ils mériteraient. . . Et plus le temps passe, plus il est difficile de surgir de l’ombre à la lumière, comme l’a fait pourtant, naguère, l’œuvre de La Tour, rescapée du XVIIème siècle.

Dans le cas de Manuel Alvess, et dans le paysage artistique français tel qu’il est constitué, cette mise à portée ne va aujourd’hui pas de soi.
Pourtant, Manuel Alvess, n’est pas un artiste du bout du monde, ni d’un autre temps. Ce n’est pas non plus - et loin s’en faut - un inconnu au bataillon. Il a fait ses classes dans le périmètre et gagné des étoiles sur plusieurs champs de bataille artistique. Né à Viseu, au Portugal en 1939, il s’est établi en France, plus encore à Paris, dès 1963 après des études aux Beaux-Arts à Lisbonne. Il avait exposé deux fois déjà au Portugal, en 1959 et en 1961, lors qu’il participe, à Paris, en 1963, au Salon des Surindépendants, ces artistes qui refusaient plus que d’autres les carcans et les écoles. Il montre des tableaux à Amiens en 1965, à Ostende en 1968. Il y obtient le Prix Europe peinture. Il est présenté au 17ème Salon de la Jeune Peinture au Musée d’art moderne de la ville de Paris en 1966. En 1969, il y revient et participe à la Biennale de Paris. De 1971 à 1977, il se fait remarquer par des performances, au Salon de Mai, à la Biennale de Paris, à Paris, à Genève, à Lisbonne, à Porto… Il est un des initiateurs de l’ « art postal » dont on voit les inventions à Barcelone, à Avignon (1980), à Troyes (1983), au Musée de la Poste à Paris (1995), à Porto (1997). En 2001, il entre au Musée d’art contemporain de la Fondation de Serralves à Porto, à la Fondation Gulbenkian (en 2007). En 2008, le Musée de la Fondation de Serralves lui consacre une grande exposition personnelle. En 2010, de janvier à juin, il est une des pièces maîtresses de l’exposition des artistes de la Fondation, en Bretagne, au Domaine de Kerguéhennec, espace d’art contemporain.

Malgré cette relative visibilité et ses démonstrations évidentes de créativité, Manuel Alvess, dont la renommée est forte au Portugal, ne compte toujours pas pour autant dans les noms les plus célébrés de la scène artistique contemporaine internationale. Pourquoi disais-je ? L’une des raisons les plus criantes est, à mon avis, la discrétion dont Manuel Alvess a toujours entouré sa production. Dans la préface du volumineux catalogue qui lui est consacré en 2008 par le Musée Serralves à l’occasion de son exposition, Joâo Fernandes et Sandra Guimarâes parlent de lui comme « l’artiste le plus secret et le plus singulier que le Musée ait jamais présenté ». Plus explicite encore, l’ « interview » de Manuel Alvess dans ce même catalogue qui devrait être une réponse à un questionnement est constitué d’une seule série de questions liées entre elles posées par Alvess lui-même et dont la dernière est celle-ci : « Quel sens a votre sens ? »

Manuel Alvess vivait dans son studio de la Place de la Bastille entouré de toutes ses toiles, de tous ses objets, soigneusement rangés dans les moindres recoins, emballés dans des sacs de tissus adéquats bien ficelés. L’œuvre quasi complet y était au secret, comme s’il s’agissait de le protéger de la divulgation. De le mettre à l’abri pour l’artiste lui-même et seulement pour lui. D’artiste à autiste, il n’y a qu’une lettre de différence. L’autiste dans ce cas ne serait-il pas l’artiste qui manque d’air ? Manuel Alvess manquait en tout cas de cette propension de beaucoup à s’agiter dans tous les sens pour parler et faire parler d’eux. Ce n’était pas son genre, ni sa personnalité. Peut-on lui reprocher sa discrétion ? Elle a certes desservi sa popularité, mais elle a sans doute contribué à l’approfondissement de son art.

Cet art, il faut l’évoquer, car il est de premier plan. En 1973, Jean-Marc Poinsot, historien de l’art contemporain et professeur d’histoire de l’art contemporain à l’Université de Rennes 2, écrivait : « Du tableau à l’objet et au geste, Alvess a fabriqué des ambiguïtés à voir. Ce mot n’est pas péjoratif, il désigne une série d’œuvres qui tirent leur intérêt non pas de leurs qualités stylistiques mais des questions et étonnements qu’elles soulèvent, de l’incongruité des formes et des objets ».

Chacune des oeuvres de Manuel Alvess est en effet une mise en questions de la réalité qu’il découpe dans le réel. Ainsi cette série des tableaux des années 60 où des trous à l’emporte- pièce sur la surface blanche s’ordonnent ou se désordonnent en fonction d’un discours sur l’uniformité, la différence, la série, l’organisation, l’exubérance… De même que la série des étiquettes des années 70. Ainsi cette idée de pendule où manquent les aiguilles et où les 12 chiffres des heures repris des pendules classiques du XIXème siècles s’alignent au bas de la toile.

Dans ses objets manufacturés avec un soin extrême Alvess atteint souvent la perfection de l’Ironie, au sens socratique, au sens philosophique. Le coffret de bois clair de dix pièces de 1970, ne contient que les dix lettres qui servent à écrire « dix lettres ». Le coffret « Grille d’aération » de 1970, contient une petite grille d’aération. Lorsqu’on bouge la tirette qui en principe permet précisément l’aération, apparait alors dans les prévus pour faire passer l’air, le mot, répété : « air », et la notice indique : « Le texte est une entité en soi. Il fera toujours écran au sujet ». Dans un autre coffret, Manuel Alvess a disposé un « sézimètre », une sorte de centimètre de couturière, mais extensible à volonté. Et il écrit : « En utilisant son extensibilité le sézimètre d’Alvess est le seul instrument du monde capable de mesurer juste ». Dans un étui semblable à ceux qui protègent les violons ou les fusils de grande marque et parfaitement ajusté à son objet, Manuel Alvess a déposé un balai à grandes pailles vertes. La pièce, de 1997-2007, s’intitule « Propreté de Paris » Sur une corniche de pierre sculptée à la grecque de feuilles d’acanthe, Manuel Alves a posé, retenu par une lourde chaîne et comme s’il s’agissait d’un chef-d’œuvre attirant toutes les convoitises, un simple bloc informe… Et puis, il y a les photographies, les lettres, les dessins… On n’en finirait pas de décrire avec gourmandise, sourire, fou-rire, perplexité… les mille et une trouvailles de cet inventeur de génie que fut Manuel Alvess.

Mais pour que tout ce travail patient, élaboré, intelligent, malin, drôle, profond… trouve enfin son but, celui de la reconnaissance publique, il faut qu’il sorte des réserves et qu’il trouve sa voie d’expression. Qu’il revive. Qu’il vive.

jeudi 16 septembre 2010

Antoine de Margerie : après Mondrian




Antoine de Margerie a d’abord été un peintre figuratif aux couleurs chatoyantes. Peu à peu, à la trentaine, le jeune homme, né en 1941, se convertit à l’abstraction. Non pas celle, lyrique ou échevelée d’un Mathieu, d’un Sam Francis ou d’un Olivier Debré, mais à l’abstraction géométrique dont les canons sont hérités de Mondrian ou de Malevitch. Dans cette peinture l’esprit domine la matière. Le cerveau maîtrise les élans du corps et du cœur. La réflexion et l’analyse de l’espace précèdent le geste du pinceau qui se fait discret, parce qu’il n’est que l’outil au service du peint. Dans « le combat de la ligne et de la couleur » que théorisait Yves Klein, Margerie n’a pas opté pour la couleur seule, il a accepté la règle de la ligne. Ce constructeur en a joué pour déterminer les à plats qui composent le tableau.

Les plans ainsi constitués, se marient calmement, se superposent plutôt qu’ils ne s’imbriquent, chacun demeurant maître de son destin. Mais dans cette Babel à deux dimensions il n’est pas question de perdre la tête et le sens dans la multiplication des langages. C’est la couleur qui vient calmer les tensions ou plus exactement les rendre vivables. Et c’est bien là que l’on perçoit la science de l’artiste. Ses apparents monochromes sont dans la réalité de la toile peinte constitués de myriades de tonalités si finement interpénétrées qu’aucun déséquilibre sensoriel ne perturbe la contemplation. Lors du vernissage de l’exposition organisée à la Galerie Gimpel &Müller, 12 rue Guénégaud, du 16 septembre au 16 octobre ; une phrase prononcée par un autre artiste, le Chilien Ivan Contreras-Brunet, en visite au vernissage, a fait sens. « Margerie a réussi à échapper à Mondrian, quand nous en sommes toujours prisonniers ». Dans son travail Antoine de Margerie a aussi abordé la gravure ; pointe sèche, aquantine…: ses qualités s’y retrouvent. Antoine de Margerie, qui était un des piliers du Salon des réalités Nouvelles, a hélas disparu en 2005, mais son œuvre, dans sa singularité et dans son homogénéité, fait de lui un des artistes les plus significatifs de l’art contemporain. Le critique d’art Anne Tronche lui a consacré un très beau livre que viennent de publier les Éditions du Regard.

mercredi 15 septembre 2010

Sur l'"art contemporain" ( et Laurent Fabius... )

Et si on essayait, d'abord, de savoir ce qu'est "l'art contemporain" ? Pourquoi, derrière ce label commode que beaucoup rendent simpliste, tant de Français ne pensent qu'à certaines expériences qu'ils n'essaient ( surtout ) pas de comprendre ? Même Laurent Fabius, pourtant cultivé et entouré d'amis qui ne partagent pas ses préventions, se permet d'écrire dans son dernier livre (1): " La plupart des oeuvres - en majorité anglo-saxonnes - qui désormais triomphent internationalement sont des machines à fabriquer des excréments, des animaux en morceaux rangés dans des caissons de formol ou des fleurs en plastique géantes " Il répond dans "Le Point" à Jean Pierrard qui le questionne sur ce condensé d'impensé radical: "Oui, j'appelle cela par dérision l' "ESS" : l'école snobo-spéculative. Il me semble que cette école ne manque pas de disciples parmi certaines oeuvres récentes."

Voilà bien un nanti de la culture qui se fait, pour s'attirer des sympathies primaires, aussi bête qu'un Le Péniste moyen. Je n'ose imaginer que l'ancien Premier ministre de François Mitterrand croit une seconde à ce qu'il dit. Ou bien c'est à désespérer de Normale Sup... et de l'intelligence et de l'esprit d'ouverture français. C'est à se demander aussi comment l' héritier d'un grand marchand d'art et l'actionnaire actuel et actif d'une belle maison de vente aux enchères française comme PIASA ( qui a ouvert voilà quelques années un département "Art contemporain" ) peut simplifier à ce point le travail et, en amont, la réflexion des artistes contemporains qu'il vilipende.

Même lorsque ceux-ci produisent des oeuvres apparemment aussi peu "artistiques" que le veau dans le formol de Damien Hirst, ou dans les extravagances de Vim Delvoye, il faut lire, derrière, le sens qu'ils donnent à leur oeuvre. Ce serait à désespérer de l'art si on ne voyait que ce qu'on nous montre. À cette aune "Le poireau" de Manet ne serait que la représentation d'un poireau... "Peinture potagère, culinaire... " donc ?


Il n'y a pas d'"art contemporain", il n'y a que des artistes contemporains, aussi différents les uns des autres ( pour ceux qui comptent, c'est à dire qui ouvrent des pistes ), que l'ont toujours été les artistes qui ont marqué l'histoire de l'Art. De Kandinsky et Kupka, voilà cent ans, à Bernar Venet et Cy Twombly, il y a des trajectoires, comme il y en a entre Toulouse-Lautrec et Robert Combas; entre Piero Manzoni ( mort en 1963 ) ou Gasiorowsky et Damien Hirst... Encore faut-il essayer de comprendre ce que ces artistes ont voulu exprimer dans leurs oeuvres fussent-elles apparemment triviales. Encore faut-il connaître un minimum d'histoire de l'art... et ouvrir ses yeux.

Quand Yves Klein expose "le vide", quand Arman compose en objet d'art des poubelles d'artistes ( voilà un demi-siècle... ) ils ont inventé des concepts, créé des formes et des lieux de réflexion, ils ont ouvert des univers. Ils n'ont pas demandé à être gobés par les Béotiens. C'est en se posant des questions sur les phénomènes qui conduisent un objet à être collé à un autre ( je simplifie ) que Pierre-Gilles de Genne s'est acheminé vers le Prix Nobel de Physique. Fabius aurait, sans doute, bien rigolé de le voir tripatouiller de la Seccotine... En France, pays où tout le monde est très/trop malin, on ne cherche pas à comprendre les artistes... La preuve: l'art est banni de l'école. Banni en effet, l'art commun, celui qui fait dans le beau, en tout cas dans "le beau" tel que l'apprécient les paralysés de la doxa, les englués du bon sens commun, celui des ploucs: formes, couleurs, imitation. de la nature... Mais on s'en doute, chassés, ignorés, rejetés l'art moderne et bien plus encore, "l'art contemporain". Il ne faut pas s'étonner que d'autres pays où les yeux et les cerveaux sont moins fermés ( je pense à l'Allemagne, aux pays nordiques, à la Grande Bretagne, aux Ètats-Unis, à la Corée, au Japon... ) nous laissent loin derrière eux lorsqu'il s'agit de considérer ce que disent les artistes d'aujourd'hui.

Le vieux débat usé sur l'"art contemporain" que relancent parfois les papys et mamys de la pensée artistique n'a finalement que peu d'importance. Beaucoup de jeunes et de moins jeunes, et de plus en plus nombreux, ne s'en laissent pas conter par les aveugles à cannes blanches et à oeillères: il visitent les expositions, les galeries, Beaubourg ( de Paris ) et le Centre Pompidou de Metz, la Fiac, Art Basel, Frieze à Londres... Ils s'initient, s'accaparent les nouvelles formes d'expression... Ils vivent l'art qui poursuit son chemin... malgré les barbons.... et les anciens premiers ministres engoncés dans leurs certitudes. JB

(1) "Le cabinet des douze" de Laurent Fabius, Gallimard, 2010.

À lire aussi: http://www.fluctuat.net/7295-Art-contemporain-Fabius-Le-cabinet-des-douze

lundi 13 septembre 2010

Matthieu Galey ( 1934-1986 ) : Éblouissant écrivain !

Le propre d’un grand écrivain est d’être universel et intemporel. On peut le lire avec plaisir et profit longtemps après que l’encre a séché. Matthieu Galey, hélas disparu trop jeune, en 1986, n’a pas laissé Le grand roman que son talent, son intelligence, son humour, sa plume auraient pu/dû lui faire écrire. Nous aurions eu avec lui le Balzac ou le Proust des années 50-80. Matthieu Galey a bien écrit quelques livres et plusieurs traductions de pièces de théâtre ( Albee, Tennessee Williams, Simon Gray… ). Mais c’est surtout, Grasset soit loué, son journal, publié en deux volumes en 1987 et 89, que l’on tient de lui. Et qu’on ne lâche pas… Voilà, jour après jour ou presque, sur près de 900 pages, un somptueux de carnet de notes élaborées, un recueil éblouissant de peintures ou d’esquisses de portraits du Paris des Lettres et de l’édition, des salons littéraires hérités d’un autre siècle avec de personnages surgis du Gotha, du Bottin Mondain, du Palace ou du Jockey Club – (Les La Rochefoucauld, les La Baume…), liés d’une manière ou d’une autre à la littérature ou au théâtre. Et le vibrant récit de lui-même qui vibrait à l’une et à l’autre. Il y a dans ce journal de véritables bijoux dans les portraits qu’il cisèle, au hasard, de François Mitterrand, Nathalie Sarraute, Catherine Clément, Daniel Boulanger, de cent autres… Quelques mots lui suffisent pour croquer au vif un personnage… Au fil des ans la dent devient plus dure, le style plus scintillant, la plume plus alerte…

Toujours amusé, Matthieu Galey nous fait le cadeau l’intelligence de son regard. Le livre est aussi, au plus personnel, le portrait d’un garçon du demi-siècle, libre dans sa vie et ses rencontres qui voyage, vit, respire l’air de son temps et profite en esthète des moindres occasions de jouissance. Chasse éperdue… Contre la montre contre la mort… Une injuste maladie rare et incurable, la sclérose latérale amyotrophique, finira par avoir raison de son dynamisme et de sa vie. Il avait 52 ans.


Ce Journal magnifique et souvent déchirant, Matthieu Galey, a commencé à le nourrir en 1953, à dix-neuf ans. Le lycéen est pétri déjà de littérature et fait en janvier son premier pèlerinage proustien à Illiers et à Combray. C’est dire qu’il préfère Guermantes à Spirou… La même année il rencontre Philippe Tesson qu’il décrit comme « Plutôt réactionnaire, me semble t-il, et pas très disert pour un psychologue ; ( Tesson va passer sa thèse de doctorat en philosophie sur L’influence de Nietzsche et de Hegel sur la pédagogie ) il me faut lui arracher les mots. (…) Mais ouvert, sans préjugés. Il est reposant, admirable. Et charmeur. ». Il assiste au « spectacle comique et gratuit » de l’anniversaire de la mort de Louis XVI à Saint-Germain l’Auxerrois ; bavarde avec Boris Vian chez les Izard ( qui sont de sa famille ) ; va voir Roger Blin dans « En attendant Godot » de Samuel Beckett ; copine avec Pierre Joxe, son ancien condisciple de Henri IV; participe aux soirées délirantes de Charon, Hirsch, Le Poulain, Jacques Iskander… ; fait un voyage en Italie ; entre à Sciences-Po où son maître de conférence qui lui a fait passer l’examen d’entrée s’appelle Georges Pompidou. Voilà le Paris de ces années là pour un jeune homme de la bourgeoisie qui a ses relations, ses codes, ses entrées, ses passeports.

En janvier 1954, Matthieu Galey pousse, au 36 rue Montpensier, la porte de Jean Cocteau, l’éblouissant, qui le reçoit au prétexte d’une recherche sur Radiguet; en mars, va voir sur le même thème Brancusi dans son atelier de l’impasse Ronsin, puis un peu plus tard André Salmon, rue Notre-Dame-des-Champs, Joseph Kessel, Jean Hugo… Il prend un verre avec Françoise Sagan ( via Radiguet toujours... ) à la terrasse des Deux Magots ; il se rend quelques jours à Berlin ; il va, en petit groupe, chez Mendès France … Puis il rencontre le critique Jacques Brenner qui loge rue Bernard-Palissy au dessus des Éditions de Minuit et qui lui donne l’occasion d’écrire son premier article dans la revue « Saisons ». Brenner l’emmène à un séminaire littéraire à Royaumont où paraissent André Dhôtel, Marcel Schneider, Kern, Cariguel, Robbe-Grillet, Perdriel…

Ainsi débute le puzzle passionnant des rencontres littéraires qui marqueront son parcours. Celle de Maurice Druon dont il sera le nègre pour un livre sur Alexandre le Grand, et tant d’autres qui s’enchaînent comme dans un Bildungs Roman fabuleux des années 50-60 : Jean-Louis Curtis, Obaldia, Paul Sérant, Solange Fasquelle, Robert Kanters, Jean d’Ormesson, Olivier de Magny, Antoine Blondin, Jean Lagrolet, Bernard Minoret, Jacques de Ricaumont, Bernard Frank… Une rencontre en entraîne une autre. Matthieu Galey fait lire son manuscrit à Jacques Chardonne qui l’apprécie et avec lequel il entame une correspondance suivie. En 1958, Jean-Claude Fasquelle publie ce premier livre. Jacques Chazot qui aime bien « Les vitamines du vinaigre » le présente à Jean-Louis Bory. Il fait la connaissance de Michel del Castillo, de Roland Barthes, de Gérald Messadié. Jean-Louis Curtis lui fait rencontrer Marcel Jouhandeau. Il fréquente Pierre Bergé. Il écrit pour l’hebdomadaire « Arts ». Et ce sont encore de nouvelles fréquentations chargées chacune pour nous, lecteurs du XXIème siècle, de bouffées littéraires d’un autre temps : Julien Green , les Morand, Marie-Laure de Noailles, Yves Berger, Bernard Privat, Jean Paulhan, Jules Roy, Jacques Brosse , Nicole Védrès, François Nourissier, Florence Gould, Aragon…Il écrira pour L’Express, Combat, Les Nouvelles littéraires… Il entrera au comité de lecture de La Comédie française, participera au Masque et la plume. Il deviendra un incontournable de la scène littéraire et dramatique. Un critique en vue.

Relire ce journal en 2010 est comme ouvrir un album de photographies argentiques. C’est un plaisir inouï et nostalgique, qui apporte son lot de surprises délicieuses. En voici, glanées au fil des pages, quelques unes :

Inattendue, celle-ci : en 1970, aux États Unis, voilà quarante ans, Matthieu Galey note déjà, le développement d’une « campagne contre la pollution qui renie toute l’Amérique de papa : « Utilisez des bouteilles, refusez les boîtes de conserve, marchez à pied » etc . » Qui se souvient de ce battage pré-écologiste américain ? Qui en a vu les effets ?

Plus percutant encore et d’accroche plus précise avec notre actualité ce portrait de François-Marie Banier, rédigé la même année, en décembre 1970. Voici ce qu’écrit Matthieu Galey : « Banier, obsédé par l’ombre de Cocteau, désireux à la fois de lui ressembler et de ne pas être lui. Il est surtout un dessin de Cocteau qui n’était pas beau lui-même mais créait la beauté. Banier se contente pour l’instant d’être un personnage de Cocteau, quelque chose comme François l’Imposteur. Il n’empêche qu’il réussit à publier un conte de Noël farfelu dans Le Monde si triste et si convenable. Il faut le faire ! Sa phénoménale assurance et la mini-carrière qu’il se taillent me ravissent, merveilleusement anachroniques dans une société sans fantaisie. » C’était plutôt bien vu… La visite de Matthieu Galey, en 1982, à Francois-Marie Banier, dans son appartement de la rue Servandoni, lui donne l’occasion d’une description croquante et de quelques notations perspicaces. « Curieux, cet intérêt tous azimuts pour les célébrités, alors qu’il ne s’intéresse à personne en vérité ». Et aussi : « Le vrai François-Marie existe t-il ? C’est peut-être l’homme d’affaires mystérieux qui dit gagner beaucoup d’argent, sans révéler comment… »

Dans ce journal les mots d’humour et les histoires amusantes foisonnent. 1971. « A Match, Bory écrit un article où se trouve cette phrase : « Le curé ( ou l’évêque ) bénissait les tanks ». La secrétaire lit mal, est choqué par la crudité du terme. Aussi, à la parution, cela donne : « L’évêque bénissait les homosexuels ».

Un autre fois, il note, en 1984, ce mot d’Alain Delon, lors d’un dîner chez lz commissaire Borniche : « Le Pen, pour que ça marche, il lui faudrait ma gueule et nos couilles à tous les deux ». Des mots drôles, des formules, des anecdotes incroyables mais vraies, le Journal en fourmille. Comme il grouille de notations plus profondes sur la société ; les politiques ( Mitterrand, Lecat, Michel Guy, Lang, Joxe… ) et les mœurs, mais toujours énoncées avec le calme du sceptique qui se marre.


En 1977 « Si 95 % des romanciers avaient cultivé des petits pois au lieu de s’échiner sur des ouvrages oubliés aussitôt que parus, la littérature n’en serait pas changée d’un iota. « Chateaubriand ou rien » On en revient toujours à ça. »

Et en miroir, ce regard sur son travail en 1982 : « Les articles de littérature, s’écrivent avec une lenteur cauteleuse, sans avancer jamais un mot qui ne soit le bon, le juste, l’unique, sinon il vous reviendrait à la figure, comme un boomerang, dès la semaine suivante. Le texte part : plus de correction possible. Pas d’épreuve ni de réflexion. Le saut dans l’inconnu, et le définitif. Ce n’est ni un métier, ni un art, le journalisme : du trapèze volant. Qui rate son coup s’écrase. »

La médecine révèle sa maladie à Matthieu Galey en 1984. Il n’a qu’une arme : l’humour. « Au temps de l’acharnement thérapeutique et des médications triomphantes, j’ai réussi à me dénicher un mal inguérissable, pour lequel on ne connaît aucun remède. Il faudra que je me regarde passer sans rien faire, avec résignation, comme jadis. Je meurs au dessous de nos moyens, à l’ancienne. Une chance, peut-être ». Ou bien : « Jean d’Ormesson, un jour, m’a dit que j’étais un chroniqueur-né. À bientôt le chroniqueur-mort ».

Les cent dernières pages sont souvent poignantes mais par défaut. Jamais Matthieu Galey ne s’apitoie sur lui-même. Il s’amuse. « Parfois, ce qui me chagrine le plus, c’est de ne pas me survivre. Il ne m’aurait pas déplu d’être mon propre veuf, de me regretter moi-même, à mon juste prix, avec un délicieux désespoir ». « Mais si , tout d’un coup, on m’annonçait un miracle, qu’on a trouvé un médicament, que je vais guérir, je crois que j’aurais beaucoup de mal à m’y faire. Passé la première ivresse, les cinquante années à venir dont je suis délesté me tomberaient dessus comme une catastrophe. C’est sa brièveté qui rend à présent ma vie si belle, si précieuse. À consommer sur place ! »


Des Journaux publiés de façon posthume, on connaît malheureusement la fin de l’histoire. On aurait tant aimé que celui de Matthieu Galey continue, continue, continue…


JB