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Paris, France
Ce blog est celui de la conversation libre. Autour des arts, des livres, de la télévision ou de tout autre sujet de culture mais aussi - n'est-ce pas culturel ? - de la politique. C'est dire, simplement, que sur ce blog on parlera de tout. Je le nourrirai au rythme de mon inspiration, de mes rencontres, de mes visites, de mes lectures, de mes poussées d'admiration ou de colère aussi. Que chacun, ici, intervienne. Que l'on discute les uns avec les autres.. Voilà l'ambition de ce blog. Un mot encore sur le titre. "Mon oeil", c'est ce que je vois, mais c'est aussi, vieille expression, une façon de dire que l'on n'est pas dupe et que l'esprit critique reste le maître contre par exemple le "politiquement correct" et contre les idées reçues, de droite comme de gauche. ************************************************************************************* Pour les amateurs d'art, je signale cet autre blog, plus spécialisé sur l'art et les artistes, les expositions, les formes d'expression d'ici et d'ailleurs, d'hier et d'aujourd'hui: http://monoeilsurlart.blog4ever.com/blog/index-350977.html

samedi 28 septembre 2013

"Street and Pop" à la Galerie Moretti & Moretti


La Galerie Moretti et Moretti frappe un retentissant coup de gong en cette rentrée d’octobre. Sur les 750 mètres carrés de son fabuleux espace qui jouxte, au Nord, la place des Vosges et où gisent enfouis sous le sol les vestiges du château des Tournelles d’Henri II et Catherine de Médicis, les frères Moretti exposent quatorze artistes d’une modernité totale, aussi divers et contrastés que l’esprit du temps. On peut, s’il le faut, les ranger sous la bannière accueillante et explicite du « Street art » ou du « Pop art ». Ils ont tous un rapport étroit avec la rue, la ville, le monde grouillant de la globalisation et de la multi-culture. Du coup, le rapprochement n’est pas fortuit avec les immenses créateurs du « Street art » que furent Basquiat, Haring… au siècle dernier. Ou bien avec ceux du « Pop art », les Warhol, Lichtenstein, Raysse, Monory, Erro, Adami… marqueurs de civilisation. Mais la multiplicité de leurs talents, de leurs écritures et de leurs expériences, le chatoiement et le panorama universel qu’offrent au regard leurs œuvres invitent à chercher une formule plus directe. La galerie nous propose tout  simplement :  « Street and Pop ».

Mais comment présenter ces irréductibles ? Peut-on, doit-on les classer ? Sûrement pas. L’ordre alphabétique serait trop scolaire; la chronologie, fastidieuse. Quant à classer des artistes… Je ne m’y résous pas et je les ferai donc défiler dans l’ordre suggéré par la première liste que j’ai reçue au mois de juillet. C’est moi qui me défile et renvoie la question à Jean-Pierre Moretti…

Gérard Zlotykamien est le doyen et le totem des « Street artists », des « Street painters » à proprement parler.  Les jeunes générations sont pleines de respect pour son nom qui est celui d’un précurseur absolu. Né en 1940, « Zloty » peint en effet dans les rues depuis 1955. Il a pratiqué le judo et après sa rencontre avec Yves Klein, s’est forgé une méthode dans la concentration mentale. Dès 1963, les murs, les parois deviennent son cadre prioritaire d’activité. Il invente alors, en 1970, son signe distinctif,  sa marque qui l’installe définitivement, un petit personnage mystérieux et furtif, tracé à la bombe de peinture. S’agit-il d’un rescapé d’Hiroshima ou d’un évadé des camps de la mort des dictatures idéologiques..? Le bonhomme étrange et chargé de sens va envahir les murs des villes. Du trou des Halles, à la Concorde, à Ulm, à Bruxelles, à Bari, à Berlin, à Pretoria… (dans les galeries aussi qui ont reconnu la démarche artistique) cette icône et toutes ses variations, ces « Éphémères » comme  les nomme l’artiste, s’imposent internationalement. Comme ils s’inscrivent dans l’histoire de l’art. Ils se tracent un extraordinaire chemin de gloire et assurent à son auteur le prestige inaliénable des pionniers et une célébrité par delà les frontières.


Jérôme Mesnager a lui aussi inventé un personnage qui frappe le regard. Et s’incruste dans les mémoires. Mais ce personnage est le plus souvent de belle taille. C’est un grand « corps blanc », installé en quelques coups de pinceaux très maîtrisés, sur des murs et des palissades. Il a des fesses et des épaules, et des jambes et des bras, et une tête. On le reconnaît entre mille. D’ailleurs, les grands voyageurs l’ont rencontré partout dans le monde. Depuis 1983, de Ménilmontant à la Muraille de Chine, des Catacombes à la rue Visconti, de l’île de Ré à Marrakech, à Moscou, à New York … partout, cet « Homme en blanc » court, se livre à des combats, réfléchit, grimpe aux murs, s’échappe et vit : libre. Son alter ego, son père, né en 1961, est lui aussi un homme de liberté.

Jef Aérosol travaille avec un des procédés graphiques les plus anciens de l’humanité : le pochoir. Une technique qu’il a mise au service d’un très grand savoir-faire et d’images extrêmement figuratives et stylisées. À 25 ans, en 1982, il entaille son premier pochoir qu’il applique sur un mur dans une rue à Tours. Ses personnages fétiches, Gandhi, Presley, Musil, Lennon, Dylan, Hendrix…, mais aussi des anonymes, le plus souvent symboliques, des enfants, des mendiants, des musiciens… qui font grâce à la mobilité et au talent du créateur la conquête de la planète. Il n’est guère de pays dans le vaste monde où ne figure, accompagné toujours d’une grosse flèche rouge, un de ses héros mythiques. Son exploit : une fresque de 350 m2, réalisée à Beaubourg en 2011, place Stravinski, en face de la fontaine de Niki de Saint-Phalle et Jean Tinguely. Son titre : « Chuuuttt !!! »

Dominique Larrivaz, dit Larry, n’est pas du genre à se laisser intimider. Ni par les immenses surfaces qu’il embrasse, ni par les sujets les plus crus et les plus vastes qu’il se fixe. Il n’a pas vingt ans, en 1981, quand il envoie ses grandes peintures de filles – on peut dire de putes – sur leurs à-plats de papier Kraft, occuper... le Bois de Boulogne. C’est que Larry se situe davantage dans la lignée de Baudelaire et de Carco que dans celle de Madame de Lafayette. Monstres humains –trop humains – corps brisés par le travail ou la luxure, les visions de la chair ont toujours une profondeur poétique. Pour l’artiste il n’y a pas de cassure, pas de rupture entre le bordel et le salon, le corps et l’esprit, la vie et le cosmos. Dans sa poursuite, aujourd’hui, du cœlacanthe, ancêtre de 350 millions d’années des vertébrés et de l’homme même, Larry demeure à la recherche des origines et des tréfonds de l’humaine nature. Qu’elle soit sombre ou rayonnante. Sous son pinceau tout fait sens : une simple bite peut se faire phallus céleste.
Paella, on l’a connu d’abord, dès 1985, sous le nom étrange de « Paella Chimicos » par l’intercession de ces centaines de mini-affichettes placardées dans les rue de Saint-Germain des Près et autres lieux. Son petit bonhomme dont la tête ressemblait à une trompe d ‘éléphant repliée en spirale sur elle même et composé lui-même comme en caoutchouc emplissait ou non le cadre du papier. On lisait ses commentaires rigolos ou politiques Puis, Michel Palacios, un des résidents des Frigos du bord de Seine, s’est nommé Paella et Paella ?. Son petit personnage a grandi, son support aussi et Paella – avec ou non le point d’interrogation – a fait son chemin d’affichiste connu. Des galeries l’ont accueilli. L’humour sur les espaces qu’il se donne s’y partage la place avec la contestation et la revendication d’un monde plus juste, plus fraternel.

Thom Thom, a inventé la profondeur éloquente de la surface plane. Je m’explique. Dans ces vastes champs du possible (oh, Jacques Villeglé !) que constituent, sur les murs des cités, les à-plats des affiches publicitaires encollées et superposées, il creuse. Sous la peau - obligatoirement codifiée
« jolie » par les gourous du marketing – il révèle des sillons, des lucarnes, des lignes, des moments de couleurs, des vibrations enfouies comme des filons dans une mine d’or. Ces affiches, il les travaille aussi. Il les casse, les broie, les découpe, les reprend, les remodèle à sa guise, faisant alors surgir des images nouvelles et le plus souvent contestataires. En décrypteur de la «Société du spectacle» de Debord, de Vaneigem, de Fluxus aussi et de quelques autres, il invite à voir et à réfléchir.

Konny Steding est une égérie-née. Du Mur de Berlin à la Rockefeller University, puis à Cologne, à Berlin, à Paris, New-York, à Londres, à Toronto…, Konny Steding, née à Stuttgart, ponctue ses séjours de performances et d’affichages remarqués. Le centre de son investigation a longtemps été la notion du déchet, de la pollution, de la destruction… Dans les couloirs des métros, les galeries, sur les trottoirs, cette « activiste urbaine » a fait de la poubelle le symbole honni et adulé de la consommation. Les interventions de Konny Steding ont aussi, le plus souvent désormais, des aspects plus intrinsèquement « artistiques » et surtout moins fugaces ou conceptuels. À grands traits sur de vastes surfaces, Konny Steding peint des portraits de vedettes de la culture punk, dont le plus mythique Sid Vicious (1957-1979), le chanteur des Sex Pistols… Ces portraits - et aussi, sans doute, le sien - qu’elle réalise le plus souvent sur de grandes toiles ou des affiches avant de les coller sur les murs des capitales s’affirment comme un fabuleux capital de visions contemporaines, avec leurs coulures, leurs graffitis surajoutés, leurs larmes, ce sang de peinture…

Philippe Bonan est un photographe. Tout d’abord un photographe et des meilleurs. Formé à l’école exigeante d’André Villers. Il a débuté en allant au contact des plus grands artistes pour fixer leur portrait dans leur propre décor d’atelier. Le lieu intime et révélateur. Après Messagier, il a photographié les plus célèbres : Hartung, Zao Wouki, Olivier Debré, César, Keith Haring, Lichtenstein, Combas, Viallat… Tous les plus emblématiques et les plus puissants. Puis il s’est passionné pour les jeunes artistes fraîchement débarqués du Street Art : Kriki, Mesnager, Zlotikamien, Jeff Aérosol, L’Atlas… chez lesquels il a su lire un avenir brillant. Puis, dans cette ambiance de créativité, il s’est lui même adonné à ce grand vice impuni, la peinture. Sur ses images, il a imaginé, sortant de sa propre pulsion privée, les accompa-gnements qui restituaient au mieux de sa sensibilité, son état d’esprit face à des phares-paysages. De cette intervention naît une œuvre chaleureuse et unique.

Zokatos Uhu est un artiste né de la peinture de rue et un activiste de la génération FaceBook. Fan de Miro et de Klee, il a ajouté à son « blase » de graffeur, Zoka, un « tos » pour « faire portugais » (car il est portugais)  et pour signifier Une Histoire Urbaine, ce UHU final qui envoie vers des mystères linguistiques extravagants. Au demeurant, ce peintre de moins de trente ans est un artiste qui sait retrouver dans son œuvre intense les voies d’un « labor improbus » (un travail acharné) qui a toujours été la clé de la création. À la pointe Bic, au stylo feutre, à l’aérosol, à toutes les innovations graphiques, il a donné pour mission d’aller sur les routes d’une peinture abstraite renouvelée. Là où s’étaient arrêtés les « grands », les classiques, d’hier ou avant-hier, Zokatos reprend le fil d’une histoire de l’art interrompue pour inventer des formes et des impressions inouïes, si l’on peut dire, ou plutôt in-vues. Un défricheur serein.

Simon Wildsmith a plié à sa volonté d’artiste les instruments les plus contemporains de la cybernétique. La photographie numérique, la palette graphique et leurs miracles lui donnent la liberté de création la plus illimitée. Faisant de son ordinateur son bras et sa main, il va jusque dans l’infiniment petit de Pascal (reflet de l’infiniment grand) chercher les éléments d’une œuvre exubérante de formes et de couleurs où le cerveau commande. L’argent, la consommation, la guerre, les religions, les fêtes, les joies du corps… lui suggèrent des œuvres à mille sens qu’enrichit le bonheur de l’intelligence. Dans l’explosion de ses images, Simon Wildsmith décrit l’univers de la mondialisation et de la globalisation, subtilement ou à grand fracas. Dans sa recherche d’images emplies de signification, il a pris -travail inédit- des vues des sols de la foire « Art Basel » marqués par des traces dues au hasard ou au travail d’artisans ou d’artistes installant leur exposition. Sur ces vestiges ténus mais pleins de mémoire, il a formulé sa propre intervention. Créant un univers innovant de ce qu’on pourrait, à son corps défendant, appeler le « ground art ».

Freddish est à la fois peintre et sculpteur. Son œuvre double le conduit naturellement vers deux horizons distincts. Dans une volubilité à la fois joyeuse et sarcastique il compose, avec son pinceau et ses reprises de personnages, des scènes hyper-colorées de mondes complexes où se croisent, s’entassent, se répondent les figures de notre Panthéon fantasmatique, de Mickey à Batman, de Cendrillon à Al Capone… Dans un autre exercice, le sculpteur inspiré et recrée à partir d’éléments métalliques, massifs ou légers, plaques, boulons… assemblés, revivifiés des « monstres » habités qui expriment leur vitalité dans le déchaînement des formes. À y bien regarder, en réalité, ce travail qui à l’origine pourrait apparaître schizophrénique trouve son unité et son sens dans une impressionnante créativité personnelle. Il est d’une force qui attire et envoûte.

Shadee.K a pour lui le privilège de la jeunesse. Issu de la banlieue parisienne, il y a, comme tout naturellement, fait ses classes sur les murs qu’il taguait et graffait à l’envi. Comme une provocation sympathique, un défi coloré, un sourire pour parois lépreuses. Son univers était déjà celui d’un rêve enfantin sur lequel planait, toujours présent, un Nounours coiffé en pétard, tout gentil, tout doux. La mascotte des débuts est toujours là sur les affiches que depuis deux ans Shadee.K colle désormais sur les murs de la capitale. Il travaille aux Frigos, dessine, peint, coud, pratique le body painting… Démultipliant ainsi les supports et l’expression d’une imagination sans bornes.

Last but not least, voici, le «special guest» comme on dit aux USA, Mr Brainwash. Vidéo-cinéaste et « street-pop artiste » basé à Los Angeles, de son vrai nom Thierry Guetta, c’est un phénomène. Et son parcours éblouit. D’abord, de Los Angeles à Paris, il filme  pendant 10 ans ses amis du Street Art, parmi lesquels son cousin, Space Invader, Shepard Fairey et le célébrissime et secret Banksy. Son obsession : faire le «best», l’ «ultimate» documentaire sur le Street Art. Mais, chemin filmant, Mr Brainwash, se met lui aussi à couvrir les murs de ses propres créations graphiques. C’est une révélation : en 2007, Banksy lui fait comprendre qu’il est plus doué pour le dessin que pour la prise de vues… Dès l’année suivante, sa carrière de « street pop artiste » explose. (Retournant même la caméra, Banksy le filme en 2010. Et utilisant aussi des images tournées par Mr Brainwash, il réalise ‘’ Exit Through The Gift Shop’’ remarquable et « successful » documentaire sur l’art de ce temps). 
La première exposition personnelle de Mr Brainwash à Los Angeles en 2008, «Life is Beautiful», 250 pièces, fait 30 000 entrées. Buzz aidant, 7 000 visiteurs impatients font la queue pour le vernissage. Prévue pour 2 semaines, elle dure 3 mois. Les ventes flambent. En 2009, Mr Brainwash est si connu que Madonna le contacte pour la couverture de son album culte : «Celebration».
Le 14 février 2010, s’ouvre son premier show à New York. Sur 1 400 m2, dans le cœur du Meatpacking District, il montre ses peintures et sérigraphies des icones de la société médiatique : Lennon, Charlie Chaplin, Madonna, Einstein, Kate Moss... qu’il traite à sa manière, reconnaissable entre toutes. Des sculptures immenses remplissent aussi le lieu. L’exposition est tellement appréciée et courue qu’elle est prolongée à deux reprises jusqu’en septembre. A la fin de l’année, Mr Brainwash s’impose à tous les fervents de l’ «Art Basel Miami», grand’messe du marché de l’art contemporain, en investissant un espace de 2 500 m2. Avec un succès toujours aussi magique, il renouvelle l’opération en 2011, au « Toronto International Film festival » et, «bis repetita placent»,  au « Art Basel Miami ».  Pour sa deuxième exposition à L.A. il loue en plein centre ville un immeuble de 4 étages de 7 500 m2 promis à la destruction. Offrant, d’ailleurs, tout un un étage à des artistes du monde entier. 
À Londres, en 2012, Mr Brainwash, réussit son plus gros coup pendant les Jeux Olympiques en s’installant dans un immeuble entier à côté du British Museum. Résultat : une moyenne de 1 500 visiteurs par jour sur 4 mois... A quand un grand solo show à Paris ? En attendant, le voici chez Moretti &Moretti dans l’exposition groupée de rentrée 2013. Il ne vient pas seul. Avec lui, son fils Hijack, 20 ans, dont les débuts voilà quelques mois à Londres, dans la très cotée «Mead Carney Gallery» de Mayfair a enflammé le milieu de l’art.
Jacques Bouzerand
Paris, septembre 2013