Qu’Alain
Kirili expose de mars à mai à Paris, à la galerie « Pièce unique », rue
Jacques Callot, et dans sa belle jumelle « Pièce unique Variations »,
rue Mazarine, c’est pour moi - et pour
beaucoup d’amateurs d’art contemporain évidemment - une excellente nouvelle. Un événement. Non pas
certes qu’on n’ait pas pu voir - ou
qu’on ne puisse pas rencontrer de façon permanente - dans de très nombreux
musées ou lieux prestigieux du monde, publics et privés, et à Paris même, un très grand nombre d’œuvres de ce sculpteur
singulier. Mais surtout parce qu’une exposition comme celle qui est organisée à
Saint-Germain-des-Près est à la fois l’occasion d’un retour calme et
rétrospectif sur une œuvre riche et profonde et aussi l’opportunité de la situer dans le panorama de l’art contemporain.
Cette
exposition qui s’ouvre le jour du printemps 2013, se déroule dans ce
quadrilatère où Alain Kirili présentait, comme il le précise, sa
« première sculpture, en décembre 1972, chez Ileana Sonnabend », la
galeriste qui avec Leo Castelli ont été, à la fin du siècle dernier les
découvreurs et les défenseurs mythiques des grands seigneurs de la peinture et
de la sculpture internationale. Aujourd’hui, la galerie Pièce unique y célèbre son
25 ème anniversaire, sous l’aile tutélaire de ses bonnes fées, Marussa
Gravagnuolo et Christine Lahoud, et dans le
souvenir du fondateur, Lucio Amelio…
Alain
Kirili est un diable de bonhomme. Familier des voyages intercontinentaux et des
expériences créatrice. Jamais las, jamais en faille d’énergie, de volubilité et
de passion.
Voici (je
me suis aidé de sa propre fiche biographique) le parcours de cet artiste qui vogue
du jazz à la philosophie et à l’érotisme, du dessin à la sculpture sous toutes
ses espèces, de l’Extrême-Orient à l’Afrique, du Tyrol à l’Espagne, de Paris à
New York pour trouver partout et dans
l’art d’abord des maîtres qu’il se donne, le miel dont il emplit impatiemment les
rayons de sa ruche.
Alain Kirili est né à Paris le
29 août 1946. Il n’a pas vingt ans quand il s’enthousiasme pour les sculptures
de l’expressionniste abstrait David Smith. Un premier séjour aux États-Unis lui
permet d’étudier l’art universel en visitant les grands musées de New York,
Washington, Baltimore, Philadelphie, Chicago, Detroit… Revenu en France, il étudie l’art chinois et se rend en
Extrême-Orient.
Dans la queue de comète des
événements de mai 1968, il devient en 1969, proche des écrivains et des
philosophes qui ont fondé la revue et le groupe d’avant-garde intellectuelle
« Tel Quel », Philippe Sollers, Julia Kristeva…
En 1972, Kirili expose sa première sculpture à la Galerie d’Iléana
Sonnabend à Paris. C’est une feuille de zinc découpée à froid. La même année,
son premier modelé abstrait est une glaise crue plantée d’une mince plaque
d’acier. Dorénavant, Iléana Sonnabend montre régulièrement son travail à Paris
et à New-York. En 1976, Kirili expose à New York : à la Clocktower, à la galerie John Weber et
au « Moma PS1 ». Il rencontre Robert Morris, Robert Ryman…
En Autriche, au Tyrol, Alain Kirili entre dans une nouvelle phase de
sa création le travail du fer forgé,
avec l’artisan Florian Unterrainer. L’année suivante, il participe à la
« Documenta 6 » à Kassel et il se marie, en octobre, avec la
photographe Ariane Lopez-Huici.
En 1978, Alain Kirili voyage en Inde : il découvre les sculptures Yoni-Lingam qui auront une grande
importance pour son œuvre, le socle ayant une fonction symbolique rare dans
l’histoire de la sculpture. Il prend de nombreuses photographies.
A Paris, dans un atelier de potier, il
découvre la possibilité de cuire dans la masse, une
forme de terre des inclusions de fer. La galerie Sonnabend de New York organise
sa première exposition personnelle. En mai 1979, alors que le MOMA de
New-York vient d’acquérir une de ses œuvres: « Indian Curve »
il donne y une conférence sur “L’extase dans la sculpture baroque”.
Alain Kirili s’installe à New York en 1980. Face au dernier atelier de Barnett Newman… Il crée sa première sculpture de la série
« Commandement ». Passionné par l’Inde qu’il a découverte en 1978, il
y revient pour photographier dans le temple de Tanjore la liturgie du
Yoni-Lingam, les principes du Masculin et du Féminin.
À Paris dans un atelier de potier, il
découvre la possibilité de cuire dans la masse, un forme de terre des
inclusions de fer. La galerie Sonnabend de New York organise sa première
exposition personnelle. En mai 1979, alors que le MOMA de New-York vient d’acquérir une de ses œuvres:
« Indian Curve » il donne y une conférence sur “L’extase dans la
sculpture baroque”
Alain Kirili s’installe à New York en 1980. Sur le même palier
travaille Barnett Newman… Il crée sa première sculpture de la série
« Commandement ». Passionné par l’Inde qu’il a découverte en 1978, il
y revient pour photographier dans le
temple de Tanjore la liturgie du Yoni-Lingam, les principes du Masculin et du
Féminin.
Dès lors, son temps se partage entre Paris et New York où il enseigne,
en 1982, la théorie et de la pratique de la sculpture à la « School of
Visual Arts » de New York. En 1984, le Moma achète une autre de ses
sculptures, « Cortège », en fer martelé et il crée son premier bronze
monumental, « Grande nudité ». L’année suivante, il est à Paris pour
son exposition-dialogue au musée Rodin entre ses œuvres et celles de Rodin. Il prépare son livre sur
« Les dessins érotiques de Rodin (qui paraît en 1987). En 1986, il inaugure dans le jardin des
Tuileries, sa sculpture « Grand commandement blanc ». Il apprend, à
New York à forger l’aluminium ce qui donnera naissance aux séries
« Kings » et « Oratorio »
Le jazz va jouer un rôle important dans la création d’Alain Kirili. En
1992, le premier moment marquant est l’intervention du saxophoniste soprano
Steve Lacy autour des éléments de sa sculpture « Commandment »
au « Thread Waxing Space » de New York. Alain Kirili publie en 1997,
chez Christian Bourgois, « Célébrations » où il décrit les liens
entre le jazz et ses sculptures à la lumière de sa pratique avec celle de Cecil
Taylor, Steve Lacy, Roy Haynes, Billy Bang, Archie Shepp, Sunny Murray etc.
L’inauguration, en 1996, du
« Grand Commandement Blanc » aux Tuileries, à Paris, après la
restauration du jardin va donner le départ d’une collaboration avec le
Ministère de la Culture et de la Communication qui lui confie le choix et la
mise en place de « La sculpture du XXème siècle » dans le jardin des
Tuileries . Une rétrospective de ses œuvres de 1980 à 1999 est organisée
au musée de Grenoble en 1999.
Avec le siècle qui s’ouvre en 2000, Alain Kirili innove en travaillant
la résine et en expérimentant le modelage de la
résine et la coloration de cette matière. L’année suivante, il crée des
terres cuites couleur chair et des modelages polychromes en cire. Carpeaux,
maître du modelé du XIXème siècle fait l’objet d’une exposition-dialogue
Carpeaux-Kirili en 2002. L’ « Ascension », commande publique,
est installée à l’abbaye de Montmajour, près d’Arles.
Une autre exposition-dialogue, autour de Julio Gonzales, se tient en
2003, à Valencia, en Espagne, au musée IVAM. En mars-avril, à l’École
nationale des Beaux-Arts de Paris, Alain Kirili organise la première exposition
de dessins de David Smith. Dès l’été, le sculpteur repart pour le Mali où il
forge sa série « Segou ».
En 2004, Alain Kirili va au Sénégal pour y forger des sculptures en
fer martelé ; il va travailler à Beyrouth pour y expérimenter la sculpture
dans une usine d’aluminium ; à New York, son exposition à la « New
York Studio School », est accompagnée par
d'un concert de musique improvisée par Leroy Jenkins, Daniel Carter et
Thomas Buckner.
L’année suivante, c’est dans les jardins du Palais Royal à Paris que
son exposition des séries « Segou » et « Totem » est
accompagnée, pour son inauguration, d'un concert de musique improvisée par
Joseph Jarman, Dalila Khatir, Jérôme Bourdellon et Thomas Buckner, sur la scène
du théâtre du Palais-Royal. En 2006, dans la série d'exposition
"Correspondances" au Musée d'Orsay, Alain Kirili crée un dialogue
entre sa sculpture « Un coup de dés jamais n’abolira la sculpture »
et les photos du « Balzac » de Rodin par Edward Steichen. Cette
sculpture est placée face à « L’Origine du monde » de Gustave
Courbet.
À New York, en 2007, la Salander-O'Reilly Gallery propose une
exposition Kirili-Lachaise, dans
laquelle sont exposées « In Extremis » et « Nataraja ». Un
recueil de ses écrits et entretiens « Mémoires de sculpteur », est
publié aux éditions de l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris. Le
Musée de l'Orangerie l’invite à exposer ses sculptures et dessins en dialogue
avec les « Nymphéas » de Claude Monet. Pour cette exposition Kirili
et les Nymphéas, il réalise « Commandement, à Claude
Monet »,
premier « Commandement » monumental réalisé en béton coloré. Espace
Massena, dans le XIIIème arrondissement de Paris, il inaugure aussi sa
sculpture monumentale en pierre de Bourgogne, « Hommage à Charlie
Parker ». L'émission radio « À voix
nue » lui consacre une semaine d'entretiens réalisés par Thierry Dufresne,
« Paris. + Voyage en Inde ».
À Paris, en 2008, Kirili est invité par l' « Institut National d'Histoire de l'Art » à présenter l'œuvre du sculpteur Etienne
Martin qu'il a bien connu. L’éditeur Mutablemusic réalise et diffuse le
coffret CD-DVD « Kirili et les Nymphéas - Hommage à Monet - Improvised
music at the Musée de l'Orangerie », enregistré lors du concert qui s'est
déroulé au Musée en 2007. À Paris et New York, il crée les séries de sculptures
en fer martelé « Equivalences », « Uccello »,
« Visitation », les ensembles de terres cuite « Adamah » et
« Ivresse », et les dessins « Équivalences ».
En 2009,
Alain Kirili présente son travail lors
d'une conférence avec Paul-Louis Rinuy à l'INHA, Paris. Le film "Alain Kirili, sculpteur de
tous les éléments", réalisé par Sandra Paugam, est présenté pour la
première fois à NYU, à Paris. Alain Kirili participe à plusieurs expositions
collectives : « Sculpture & Drawings » avec Larry Bell, John
Chamberlain, Mark di Suvero, Richard Serra, Joel Shapiro… à la galerie Danese de New York ; « Triple Play »
organisée par Lilly Wei, avec John Duff et Ron Gorchov à la Lesley Heller Gallery à New
York ; « NY Masters » avec Ron Gorchov, Judy Pfaff, Alexander Ross,
et Frank Stella, à la Galerie Jean-Luc &
Takako Richard à Paris; et l'exposition Dialogue
« Sculpture by Alain Kirili and Painting by Frank Olt », organisée
par Elaine Berger au « Nassau County Museum of
Art Contemporary Gallery »,
Roslyn Harbor, NY. Invité par Philippe Piguet, il expose sa sculpture
« Ascension III » et ses terres cuites « Adamah » à
l'Abbaye de Saint-Jean d'Orbestier, Château d'Olonne. Une exposition
personnelle en dialogue avec le peintre Ron Gorchov est présentée à la Galerie Jean-Luc & Takako Richard, à
Paris. Alain Kirili participe également au catalogue « Sol LeWitt 100
Views » du MASS MoCa avec son texte « Sol LeWitt: A New
Calligrapher".
En 2010,
Alain Kirili montre son dessin
« Forge » dans l'exposition collective "Works on Paper " ,
avec John Chamberlain, Richard Serra, Joel Shapiro, à la galerie Danese à New York. Le sculpteur peint en rouge ses
nouvelles verticalités martelées dans sa série d'oeuvres « Burning
Bush », « Adam I », « II » et « III », et
« Zips ». Il développe dans la même énergie la série de dessins
« New York Incandescence » au fusain noir et pastel gras rouge sur
papier calque.
À Grenoble, en 2011, Alain Kirili inaugure sa
sculpture monumentale "Résistance", placée dans un espace paysagé
d'Alexandre Chemetoff. Il expose ses dessins au Musée de Grenoble. En juillet,
une nouvelle installation de "Ascension" est installée à l'extérieur
de l'abbaye de Montmajour. En septembre, dans les jardins du Musée de Caen, sa
sculpture « Geste de Résistance » est inaugurée, accompagnée par un
texte de l'historien Robert Paxton, « The Eye of Hitler ».
En 2012, se tiennent des expositions personnelles à la galerie Akira
Ikeda, à New York et à Berlin. Kirili fait un séjour à la fondation Hartung-Bergmann
où il crée ses sculptures en fils de fer « Aria » avec l’assistance
de Roland Massenhove. Un entretien avec Robert Morgan est publié dans le
« Brooklyn Rail ». Il publie un article dans Libération: « Pussy
Riot, le retour des Guerillas Girls ». Suivent des expositions
« Kirili-Hartung » au musée Picasso et à la Fondation
Hartung-Bergmann d’Antibes. Son Exposition/installation « Rythmes d’automne »
est montrée sur le parvis de l’Hôtel de Ville de Paris.
Cette année, outre l’événement à « Pièce unique » et « Variations », une exposition Alain Kirili/ Ariane Lopez-Huici
se tient à Caen, au musée des Beaux Arts.
Voilà donc pour la trame d’une aventure artistique qui trouve son sens
dans cette recherche et la vénération de la Verticalité. Alain Kirili n’est pas
un un artiste du plat - qui peut tourner au
calme plat, voire à la platitude
-. Les deux dimensions ordinaires, celle de la longueur et celle de la largeur, lui
sont radicalement insuffisantes. Kirili ne se sent à l’aise que lorsqu’entre en
jeu la troisième dimension celles des formes et celle de la hauteur.
Les formes sont pour lui la matière même de son expression. Il les
modèle avec sa main. Animée par la force de son esprit, de son imagination, de
sa sensualité surtout qui est pour lui le guide. J’ai eu le bonheur, voilà de
nombreuses années, de voir Alain Kirili, dans son atelier parisien, prendre une
motte de glaise et, au son d’une musique de jazz, combattre avec elle, comme
Jacob avec l’Ange. C’était comme une danse sauvage, un rituel fantastique qui
avait pour effet d’imprimer avec violence et maîtrise au sein de la terre
l’ensemble des sensations qu’il éprouvait, y inclure les rythmes et les notes de la musique, lui insuffler une vie propre et la conduire jusqu’à
l’orgasme d’une perfection, y compris dans le non-finito, secrètement et intimement exigée. Qu’il
s’agisse de la terre, du béton, du fer, du bronze, de l’aluminium… Alain Kirili
joue en virtuose avec les
éléments : la terre, le feu (comme tout forgeron), l’air (cette aspiration
à une la verticalité retrouvée).
Alain Kirili, dans ses « Commandements » avait de façon plus
discrète, déjà institué la verticalité de l’alphabet hébraïque. Chacune des
lettres se dressant pour affirmer sa puissance. La lettre debout, la colonne,
le totem sont pour Alain Kirili les figures les plus abouties de la
Verticalité. Quoi en réalité de plus symbolique et de plus fort ? La
Verticalité est dans toutes les
civilisations le signe de l’humanité qui, depuis l’animalité originelle, par la station, a
fait émerger et épanouir sa cérébralité. C’est ce que signifient sans doute les
obélisques égyptiennes, c’est ce que dans ses « Pensées mourides »,
expression d’une philosophie soufie qui a son centre à Touba au Sénégal,
exprime le poète et philosophe Al-Zeituni : « La verticalité ouvre le
champ de la spiritualité, de la hauteur, du recul, la Voie ». Il ne peut
échapper que le vertical est aussi, comme en témoignent aussi bien les figures peintes dans les
cavernes les plus diverses par l’artiste préhistorique que dans l’art de l’inde
et des Extrêmes-Orients le signifié du phallus. C’est à dire de la sexualité.
C’est à dire la vie.
Il me plait assez de penser qu’en associant avec tant de puissance la
sensualité ( des matériaux, des formes, de la musique ) à la sexualité et à la
spiritualité, Alain Kirili accomplit une œuvre d’une humanité et d’une contemporanéité
remarquables.
Jacques Bouzerand
(Corrections apportées le 2/04/2013)
Les images de cette page sont sous Copyright d'Alain Kirili.
Alain
Kirili
« Qui
a Peur de la Verticalité ? »
21 Mars –
18 Mai 2013
Galerie
Pièce unique et Pièce unique variations
Rue Jacques
Callot ; rue Mazarine PARIS