Voilà, pour la maison de
ventes Aguttes, le 14 juin, à Drouot-Richelieu, une belle vente de peintures
qui comporte notamment une série de tableaux
de Georges Mathieu provenant de la collection personnelle de l’épouse du
peintre, Adélaïde de Boisserée, décédée le 13 septembre 2004. Au cimetière de
Passy, il avait fait orner la tombe de son épouse, d’une grande sculpture de sa
composition. Sur une plaque il avait
fait indiquer: « épouse de Georges Mathieu d’Escaudoeuvres », et
il avait fait graver ces mots, dans sa propre écriture : « Toi
qui sacrifia ta vie pour mon art, Toi dont les ancêtres ont révélé l’art
médiéval à tout un peuple, Toi qui rendit honneur à la France plus qu’à ton
pays, Toi dont la fin de la vie fut un calvaire, Toi inconnue à qui le monde
reconnaît la grandeur ». Le peintre
a disparu le 10 juin 2012 à Boulogne-Billancourt.
Les douze œuvres de la
vente Aguttes sont diverses, plusieurs huiles sur toile comme: « Composition
à fond blanc et à motifs rouge, noir, blanc et bleu turquoise » de 1960,
100 cm x 65cm, estimée de 70 à 80 € ; « Linosiris » de
1978, 92cm x 73cm, estimée de 30 à 40 000 € et des œuvres sur papier ou
sur toile, plus petites et à des estimations de départ plus faibles, à partir
de 1500 €.
En 2010, sur ce blog,
j’écrivais ce qui suit :
« Pourquoi Georges Mathieu est-il, par les temps qui courent, si
mal considéré en tout cas coté si bas? Ce peintre a eu, dans un
passé encore récent, tous les honneurs. Il a été considéré dès 1951 par
André Malraux comme « ' le ' calligraphe
occidental » ( une qualification vaguement à côté de la plaque, mais
tout de même… ). Gloire médiatique aussi: Paris Match lui consacre des
reportages. En 1963, il illustre une superbe campagne publicitaire d'Air
France. Dix ans plus tard, une de ses créations est frappées au
revers d'une pièce de 10 francs.
Mais aujourd'hui, il n'a pas, n'a plus, comme on dit, la carte. Ni sur
le marché, la grosse cote qu'il mérite. Il faut ainsi voir dans le dernier
numéro de « La Gazette de l'hôtel Drouot » sa pourtant très
belle toile, « Nuit creuse ». Cette huile
sur toile signée en bas à droite, de
89 x 116 cm, peinte en 1981,
provenant de la galerie Protée, présentée aux enchères le 13 février à Nice par
Boisgirard Provence Côte d'Azur n'était estimée que de 80 à 100 000 €… Elle
pourrait être négociée autour de 70 000 €… Relevée sur l'indispensable site
« Artprice », la cote de Georges Mathieu, ces dernières années,
s'étage du plus haut au plus bas, de 240 000 € pour une toile majeure de
2007, « Prédiction de Grégoire VII » de 1957 à 90 ou même 60 000
€ pour des toiles moins connues ou plus récentes. Un autre tableau de Georges
Mathieu, signalé par "La Gazette" du 19 février, ( belle image ), de
97 cm x 195, estimé de 140 à 160 000 €, "Oxum" de 1987, sera mis en
vente le 27 février aux enchères à Cannes par la société de ventes André
Appay-Nicolas Debussy.
Quand on compare ces résultats avec ceux
d'autres artistes de même talent, de même génie, de même nature on ne peut
qu'être choqué par une si faible valorisation. Ainsi en novembre 2006, la toile
« n°5 »
de Jackson Pollock, peinte en 1948, a été vendue dans une transaction privée
pour la somme de 140 millions de dollars
et est devenue ainsi des œuvres les plus chères de tous les temps. Qu'a
donc fait Mathieu pour être si loin de compte ? Rien qui justifie une
telle claque. Cet artiste a tracé sa voie de façon autonome, inventant une
façon de peindre typiquement personnelle. Ses œuvres sont souvent magnifiques.
À propos de la toile mise en vente, la
critique d'art Caroline Legrand écrit dans « La Gazette de l'hôtel Drouot » :
« L'élaboration de l'œuvre passe par la vitesse et le risque, mais
insensiblement une structure se dégage, comme un message émergeant de la
matière. L'expression profonde de la révolte de l'artiste »
Cette critique d'art cite
aussi des phrases d'explication du peintre : « Le signe précède sa
signification » comme il l'expliquait à propos d'oeuvres réalisées en
1960 ; « Je voulais un changement radical, un absence totale
d'idéologique antérieure » précisait t-il en 1994.
Né le 27 janvier 1921 à Boulogne-sur-Mer dans une
famille de banquiers, Georges Victor Mathieu d'Escaudœuvres, appelé
Georges Mathieu, s'oriente en 1942 vers la peinture après avoir fait des
études de droit, de lettres et de philosophie. Au Salon des Réalités Nouvelles,
en 1947, il expose des toiles où la peinture jaillie du tube s'écrase sur
la surface en y traçant des signes à la fois puissants et élégants. Mathieu
peint debout des toiles placées verticalement. C'est de la peinture abstraite,
qui ne représente pas quelque chose mais qui s'exprime par sa seule présence et
sa seule vertu. ( Comme chez Jackson Pollock au États Unis qui pratique le
dripping dans les année 40 pour couvrir la toile posée au sol )
. On parlera pour cette innovation de Georges Mathieu
d' »abstraction lyrique ». Mathieu accroche l'œil. Dans les
années 1950, il expose aux États-Unis et au Japon. Ses tableaux, il les peint
parfois en un temps record au cours de happenings ou de
performances devant un public. En 1963, il est une des vedettes de la
rétrospective historique au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris.
« Air France »
lui confère une vaste campagne
publicitaire qui prend appui sur plusieurs de ses toiles. Il dessine
la pièce
de 10 francs en bronze qui a circule dans toutes les poches de 1974 à
1987.
Du temps a passé. Mise à part une belle
rétrospective au Musée du Jeu de Paume en 2002, Georges Mathieu n'est guère soutenu
par nos institutions ou nos penseurs de l'art. C'est plus qu'une erreur une
faute contre un artiste français majeur que l'Histoire de l'art reconnaîtra
comme un grand et auquel elle accordera une belle place. »
Les résultats de la vente Aguttes diront si les œuvres de Georges
Mathieu se rapprochent de la cote qu’elle devrait avoir aujourd’hui, quand à la
mi-mai à New York, chez Christie’s « Number 19 », (1948) ,
de Jackson Pollock, un "dripping », estimé entre 25 millions et
35 millions de dollars, a été adjugé à 58,4 millions de dollars, record
absolu de Pollock.
Jacques Bouzerand
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