« La Rafle » de Roselyne Bosch est un grand film. Un beau film courageux. On en sort bouleversé et l'on se pose l'inlassable question de la participation de l'État français, de ses chefs et de ses forces de police à cette saloperie immémoriale. Comment un Darquier, un Bousquet, un Vallat, un Laval, un Pétain… ont-ils pu se laisser aller à commettre une telle ignominie ? Comment ont-ils pu céder aux injonctions des nazis ou devancer même parfois leurs desideratas ? Le film de Roselyne Bosch, qui n'est pas manichéen, montre aussi comment de Français, des « Aryens », de bons catholiques ou des Français lambda, ont pu aussi soustraire au massacre subséquent à cette entreprise affreuse des 16 et 17 juillet 42 quelque 10 000 juifs. Cela aussi il fallait le dire, le montrer.
Aussi suis-je choqué, outré par la critique de Jacques Mandelbaum, dans le Monde. Il ose écrire: « Contrairement à ce que martèle la campagne en cours, La Rafle ne nous apprend rien de fondamental sur l'événement. Sa divulgation historique, sa commémoration publique, son enseignement à l'école, son évocation par de nombreuses oeuvres de l'esprit, qu'il s'agisse de littérature ou de cinéma, le prouvent. » écrit le journaliste je-sais-tout. Eh non M. Mandelbaum. Non, tout le monde ne sait pas ce qui s'est passé en France, à Paris, en juillet 42. Tout le monde n'a pas vu « Les guichet du Louvre » de Michel Mitrani, n'a pas entendu, le 16 juillet 1995, le nécessaire discours de Jacques Chirac sur les traces effacées du Vel d'Hiv… Et même ceux qui savent ce qui s'est passé peuvent voir avec respect, avec intérêt, avec compassion le film de Roselyne Bosch. Parmi des centaines de scènes, une de ses images, celle du Vel d'Hiv bourré comme aux plus belles heures de son histoire sportive de ces 13 000 malheureux raflés, hommes, femmes, enfants, vieillards, bien portants ou malades, promis à une mort décrétée, fixe pour toujours dans la mémoire cinématographique ce que fut l'abjection d'un état.
Mais M. Mandelbaum ne s'en tient pas à sa réflexion de nanti ( l'est on jamais assez ? ) de la culture historique. Selon lui, « ce film est médiocre sur le plan esthétique ». « La principale raison, explique t-il tient à son ambition spectaculaire, à l'impression qu'il veut donner "d'y être". Le pathos et le manque de recul ne sont pas seuls en cause. » Et si l'on n'était pas de l'avis de M. Mandelbaum ? Si on jugeait, a contrario, que la reconstitution est particulièrement réussie et efficace et que l'empathie tient d'abord au sujet du film et que ç'aurait été un crime de fabriquer un film froid ?
Un autre atrabilaire se révèle sous la plume d'un certain Didier Péron dans Libération. « La Rafle, écrit péremptoirement ce critique, du haut de son péron, du haut de sa tribune de papier journal et surtout de son clavier d'ordinateur, « La Rafle, n'est pas un bon film et il n'est pas la vérité ». Ah, bon… Mais pourquoi ferait-on confiance à ce M. Péron ? D'où parle, comme on disait dans la gauche de Vincennes et de Nanterre et des cabinets branchés de psychanalyse, ce M. Péron qui va jusqu'à reprocher à la réalisatrice et à son producteur« le fracas spectaculaire de la fresque avec figurants en nombre » comme si, d'abord, les raflés n'avaient pas eux-même fait nombre… Et voilà que le « critique de Libération » tire vers lui une citation savante de Walter Benjamin ( qui n'a pour justification que la pédanterie du critique ): «L'image vraie du passé passe en un éclair. On ne peut retenir le passé que dans une image qui surgit et s'évanouit pour toujours à l'instant même où elle s'offre à la connaissance». Et notre critique de poursuivre : « Or la démarche du film est inverse, nulle trace du présent de l'époque, mais le kitch habituel du film en costume français. Il faut tout montrer, tout rejouer, les mères qui hurlent, les enfants pataugeant dans la merde. »
C'est à dire que M. Péron reproche au film tout et son contraire : 1) D'abord l'absence de trace du présent de l'époque : A t-il raté le début du film qui montre via des images d'archive, Hitler au petit matin dans un Paris désormais sous sa botte ? Ou les images du même dictateur dans son refuge du Berghof ou son nid d'aigle de Berchtesgaden avec sa copine Eva Braun ? 2) Le trop d'images de la vie d'avant la rafle dans la communauté juive du petit Montmartre. Je crois que M. Péron n'a pas compris que La Rafle était avant tout un film de cinéma, c'est à dire une œuvre faite pour le public, pour le grand public. En lui apportant à la fois de l'information sur un sujet et une histoire, un récit avec des personnages de premier plan… Faisant son petit Bazin, ( ça c'est pour les initiés ) ou mieux son Bazin au petit pied, M. Péron lâche une phrase qui vaut son pesant de moutarde et que je reproduis pour le plaisir de la citation digne d'un bêtisier ; « L'image absente devient, par glissement sémantique et moral, une image manquante qu'il faut à tout prix créer de toutes pièces si l'on veut perpétuer le devoir de mémoire. »
Mais je crois avoir compris, in cauda venenum, la source majeure de l'irritation péronesque : le film, et ce n'est que justice, a bénéficié d'un soutien de l 'Éducation nationale ( ce qui n'enlève rien aux qualités du film pas plus que ça ne lui en ajoute ). Et cela a le don d'agacer l'irritable M. Péron: « On peut enfin s'étonner, écrit-il, de la capacité de mobilisation de troupes au sein de l'éducation nationale pour ce genre de grosses productions à lourds sujets. La Rafle a été montré en avant-première dans 27 salles à travers la France pour les professeurs, un document pédagogique a été envoyé à 11 000 collèges et lycées. Il est pour le moins troublant de trouver sur plusieurs sites liés à l'éducation nationale un texte de présentation vantant les mérites du film avec ce mantra autojustificatif qui émane directement de la production : «Tous les personnages du film ont existé, tous les événements ont bien eu lieu.» Apprendre à penser dans de telles conditions risque de devenir difficile. » Mais que veut dire M.Péron ? Comment peut-il nier la vertu pédagogique du film de Roselyne Bosch ? Et l'utilité de le montrer aux élèves des écoles pour les mettre en garde contre tous les totalitarismes et le racisme, mal absolu ? Nierait-il la véracité des évènements retracés dans le film ? Contesterait-il la réalité des situations vécues dans le Paris raflé de juillet 42 et figurées dans le film ? Une explication serait utile pour dédouaner ce journaliste d'un quotidien de gauche d'une sorte de révisionnisme abject.
J'ai vu ce film dans une salle comble. Son succès public est le meilleur démenti possible aux quelques critiques qui devraient soigner au plus tôt leurs aigreurs stomacales.... Et leurs parti-pris de dénigrement.
Post scriptum: André Bazin, 1914-1958, était un critique des Cahiers du cinéma, dont les analyses percutantes empruntaient parfois le cheminement d'un langage difficilement accessible au public populaire qu'il vénérait. Son oeuvre principale est "Qu'est-ce que le cinéma ? " (étude en 4 volumes) (1958-1963)
T. I, Ontologie et langage
T. II, Le cinéma et les autres arts
T. III, Cinéma et sociologie
T. IV, Une esthétique de la Réalité : le néo-réalisme.
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