Ce qui est passionnant
avec l’œuvre de Bernard Aubertin, c’est que ce travail excelle à démontrer l’infinie
liberté de la peinture. Originaire d’un point « p », elle peut, par
la volonté de l’artiste, par son imagination, par ses talents…, s’épanouir dans
des horizons extrêmement éloignés de ce point de départ. Même si elle lui est
reliée par des liens ténus.
Le point d’origine de la
peinture de Bernard Aubertin se situe dans l’orbite d’Yves Klein. Il y a un avant
et il y a un après Klein. Avant, Aubertin ne se satisfait pas de ce qu’il
peint, tableaux abstraits ou figuratifs. Il n’aime ni ce qu’il fait, ni ce
qu’il voit dans les expositions.
Après ? C’est Aubertin lui-même qui le raconte dans un des textes du
catalogue publié à l’occasion de l’exposition « Bernard Aubertin, la
nature des choses », consacrée à l’artiste par le Mamac, le Musée d’art
moderne et d’art contemporain de Nice, du 9 février au 26 mai 2013.
Au début de 1957, Aubertin,
27 ans, rencontre Yves Klein qui
l’invite à lui rendre visite dans son atelier du 9, rue Campagne-Première, à
Montparnasse. Il y voit « ses premiers tableaux monochromes, de couleurs
différentes, orange, noir, vert clair, jaune – la période bleue n’avait pas
encore commencé. (…) Face à ses tableaux, (…), j’eus une révélation :
la couleur libre, pure… (…). Il me fallait être un peintre monochrome».
À 72 ans, Bernard
Aubertin, établi à Reutlingen en
Allemagne, revenant sur son parcours artistique, relève que la caractéristique
de son œuvre est d’abord, « la composition sérielle et l’ordonnance
régulière de ses tableaux ».
« Certes, ajoute t-il, je peins monochrome et je fais des œuvres de
feu, mais la comparaison avec Yves Klein s’arrête là ». Même si à cette
référence doivent être additionnées les interférences d’Aubertin avec le « groupe
Zéro » de Düsseldorf et ses fondateurs, Heinz Mack, Otto Pienne et Günther
Uecker (le frère de Rotraut, épouse d’Yves Klein)…, auxquels Yves Klein l’a présenté
et qui développent une sensibilité proche de la sienne.
Ces rencontres, dans le
creuset de l’artiste en devenir, révèlent Aubertin à lui-même. Elles déclenchent son propre processus de
création. Dès lors, l’artiste trouve sa voie. C’est d’abord une couleur. « Un
coup de poing sur la table : du rouge, du rouge, du rouge ! Énergie
transmise… Le feu restitué » clame t-il. D’autres couleurs se succèderont :
le noir, le blanc, l’argent, l’or, mais également du gris, du marron, du jaune…
sans abolir cet engagement fondamental. C’est dans la monochromie qu’ il fonde ses
repères cardinaux, son « quatuor plastique : espace, temps,
mouvement, énergie ».
L’artiste explique parallèlement
qu’il ne « considère jamais le tableau comme terminé ». « Je
souhaite, explique t-il, que le spectateur comprenne que je peins des tableaux
qui sont le résultat d’une inlassable répétition. Je voudrais que le spectateur
ne s’arrête pas à l’aspect plaisant du tableau, au choc émotionnel que lui
procure la vision de la couleur seule, en bref, qu’il ne prenne pas pour œuvre
achevée, à contempler, ce qui n’est qu’un moment de peinture ».
La voie d’Aubertin, c’est
aussi d’appliquer sa pratique du monochrome non seulement à la surface plane de
la toile, mais aussi à des forêts ordonnées de clous, à des tronçons de
poutres, à des agencements de fil de fer, à des surfaces poinçonnées de
milliers de trous, à « des dos de cuillères, des serviettes éponge, des
allumettes plus ou moins longues… », c’est à dire à des matériaux qui
viennent parler d’eux même. Lorsqu’Aubertin embrase ses tableaux de feu,
enflamme page à page, ses livres (de grande série) c’est moins pour garder la
trace du feu, sa mémoire évanouie, son fantôme que pour conserver l’effet concret
du feu sur ce qu’il a brûlé.
On le conçoit du coup clairement,
avec Aubertin, nous sommes à cent lieues de la philosophie d’Yves Klein. Dans
une tout autre conception métaphysique. Dans de tout autres concepts. Là où
Klein aspirait patiemment et impatiemment à atteindre l’Immatériel, Aubertin,
lui, s’exprime, dans un parfait matérialisme objectif. On est plutôt dans la
veine du « Parti pris des chose » de Francis Ponge.
« La nature des
chose » au Mamac, comme l’an
dernier à Paris, « Rouge », l’exposition de Bernard Aubertin, à
la galerie Jean Brolly – associé à l’exposition- ou les très nombreuses
expositions qui sont régulièrement montrées à travers le monde permettent de
saisir la spécificité et la de cet artiste. Par sa pratique qu’il veut
laborieuse, par la diversité de son expression qu’il veut objective et par ses
visées humanistes, Aubertin trouve sa place dans la liste étroite des artistes
contemporains qui comptent.
Jacques Bouzerand
Jacques Bouzerand
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