On est d’abord frappé, happé,
par la matière de ces panneaux. Ce pourraient être des dalles de marbre
tranchées dans des veines calcaires légèrement colorées, mouchetées de rose ou
de brun… On se rapproche. Non, ce sont de vrais tableaux, des toiles dont
la surface renvoie seulement à cette vision minérale. Pas des trompe-l’œil :
la surface n’est pas peinte, travaillée dans le dessein d’une imitation du
réel. Les toiles ont recueilli et conservé, accrochés à leur trame blanche de
lin, de minuscules fragments, de tous petits agglomérats qui s’organisent en
très légères vagues. À la manière un peu d’une limaille de fer
qu’oriente, hors du champ de vision, un aimant. Mais sans ces lignes de force
nettes et géométriques ou paraboliques que l’on décrypte dans les livres de
science au chapitre électricité. Pour un peu on serait dans du monochrome,
gris-rosé plus ou moins clair ou foncé, plus proche de Bernard Aubertin (1) que
d’Yves Klein… Mais en écrivant cela, en décrivant ce que l’on voit, on n’a pas
épuisé le sujet. Ni le propos de l’artiste. Loin s’en faut.
Dans la toute nouvelle galerie,
ouverte, rue Chapon, dans le III ème arrondissement à Paris, par Virginie
Louvet ( passée sous la férule de Me Binoche et de Daniel Templon) ,
voici - pour quelques jours encore, dépêchez-vous d’y aller - une
découverte.
Garrett Pruter a vingt-cinq ans. Il
est californien. Il vit et travaille à Brooklyn. Ce jeune artiste qui a suivi
les bonnes écoles, est diplômé comme il le faut, (à la Parsons School of Design
de New-York, en 2010), s’était fait une belle réputation new-yorkaise en
découpant en petites parcelles des milliers de photographies et en
reconstituant avec ces bouts de papier des images composites. Et superbes.
Il a, ici, débordé de ses limites.
Et, d’une certaine façon, il a inventé non pas un langage mais un nouveau mode
de stockage de l’information artistique. J’explique.
Garrett Pruter, de longue date, est
allé à la chasse ou à la pêche aux photographies d’amateurs restituant des
moments de vie : repas familiaux, vacances à la plage, courses cyclistes,
animaux familiers… Dans ses filets, il en a ramené des milliers.. Il se sert de
ce matériau qu’il coupe et recoupe pour obtenir des atomes de photographies
qu’il ré-assemble sur la toile. En nouveaux paysages… Ici, il ne s’est pas
contenté de fragmenter des photographies, de les hacher menu, il en a gratté la
mince surface pour récupérer la gélatine et les pigments. Cette fine substance
qui a porté et constitué l’image, qui a été l’image, qui a contenu et figuré
tant de personnages, de situations, de paysages… est désormais réduite en une
poussière, puis en une pâte. Celle-ci est alors mélangée à quelques
autres ingrédients, des particules d’aluminium, de la térébenthine, de
l’huile de lin qui lui confèrent de la luminosité et permettent de la fixer sur
la toile. Ce qui donne naissance à ces tableaux inédits.
Le Big-bang, on le sait (?), a
créé ce que les savants appellent la « soupe primordiale », ce
maëlstrom d’électrons qui peu à peu se sont différenciés pour engendrer
les galaxies, les univers, les êtres animés…
La « soupe primordiale »
de Garrett Pruter, cette pâte qui devient œuvre, contient comme l’adn de
ce qui y a été incorporé, images disparues. Ces tableaux si concrets, si
matérialistes dans leur fabrication, et si lisibles dans cette apparence, sont
en vérité des réceptacles de souvenirs enfuis, dispersés, lointains. Ils
concentrent dans leurs à-plats, œuvre après œuvre, toute la mémoire
du monde.
Jacques Bouzerand
" Wish you were here " jusqu'au 6 avril 2013.
Galerie Virginie Louvet. 48,rue Chapon. Paris III ème. Exposition sous le
commissariat de Cecelia Stucker.
Untitled IV, 2013
Photographic pigment,
aluminum, turpenoid, and linseed oil on canvas.
27.5" x 35. Galerie
Virginie Louvet
Flesh 2, 2012
Cut up sunsets on paper
30" x 40" Galerie Charles Bank NY
The Universes, 2012
Cut up Digital C-Print of
found photograph, found poster
30" x 40" Galerie Charles Bank NY
FLESH (MIXED SIGNALS), 2011
Cut-up vintage Playboy and Penthouse magazines on paper
30 x 40 in 76.2 x 101.6 cm Galerie Charles
Bank NY
Ship Wrecked, 2012
Cut up Digital C-Print of found photograph, found poster
30" x 40" Galerie Charles Bank NY
(1) Bernard Aubertin (né en
1934, vit et travaille à Reutlingen, Allemagne) Il rencontre Yves Klein en 1957
à Paris. À la suite de cette rencontre il réalise ses premiers monochromes
rouges. Dans le cadre de la saison "Imaginez l'Imaginaire", 28.09.12
- 30.09.13, Palais de Tokyo, Paris et Bernard Aubertin
La nature des choses 9
février - 26 mai 2013 au Mamac, à Nice.
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