Et si on essayait, d'abord, de savoir ce qu'est "l'art contemporain" ? Pourquoi, derrière ce label commode que beaucoup rendent simpliste, tant de Français ne pensent qu'à certaines expériences qu'ils n'essaient ( surtout ) pas de comprendre ? Même Laurent Fabius, pourtant cultivé et entouré d'amis qui ne partagent pas ses préventions, se permet d'écrire dans son dernier livre (1): " La plupart des oeuvres - en majorité anglo-saxonnes - qui désormais triomphent internationalement sont des machines à fabriquer des excréments, des animaux en morceaux rangés dans des caissons de formol ou des fleurs en plastique géantes " Il répond dans "Le Point" à Jean Pierrard qui le questionne sur ce condensé d'impensé radical: "Oui, j'appelle cela par dérision l' "ESS" : l'école snobo-spéculative. Il me semble que cette école ne manque pas de disciples parmi certaines oeuvres récentes."
Voilà bien un nanti de la culture qui se fait, pour s'attirer des sympathies primaires, aussi bête qu'un Le Péniste moyen. Je n'ose imaginer que l'ancien Premier ministre de François Mitterrand croit une seconde à ce qu'il dit. Ou bien c'est à désespérer de Normale Sup... et de l'intelligence et de l'esprit d'ouverture français. C'est à se demander aussi comment l' héritier d'un grand marchand d'art et l'actionnaire actuel et actif d'une belle maison de vente aux enchères française comme PIASA ( qui a ouvert voilà quelques années un département "Art contemporain" ) peut simplifier à ce point le travail et, en amont, la réflexion des artistes contemporains qu'il vilipende.
Même lorsque ceux-ci produisent des oeuvres apparemment aussi peu "artistiques" que le veau dans le formol de Damien Hirst, ou dans les extravagances de Vim Delvoye, il faut lire, derrière, le sens qu'ils donnent à leur oeuvre. Ce serait à désespérer de l'art si on ne voyait que ce qu'on nous montre. À cette aune "Le poireau" de Manet ne serait que la représentation d'un poireau... "Peinture potagère, culinaire... " donc ?
Il n'y a pas d'"art contemporain", il n'y a que des artistes contemporains, aussi différents les uns des autres ( pour ceux qui comptent, c'est à dire qui ouvrent des pistes ), que l'ont toujours été les artistes qui ont marqué l'histoire de l'Art. De Kandinsky et Kupka, voilà cent ans, à Bernar Venet et Cy Twombly, il y a des trajectoires, comme il y en a entre Toulouse-Lautrec et Robert Combas; entre Piero Manzoni ( mort en 1963 ) ou Gasiorowsky et Damien Hirst... Encore faut-il essayer de comprendre ce que ces artistes ont voulu exprimer dans leurs oeuvres fussent-elles apparemment triviales. Encore faut-il connaître un minimum d'histoire de l'art... et ouvrir ses yeux.
Quand Yves Klein expose "le vide", quand Arman compose en objet d'art des poubelles d'artistes ( voilà un demi-siècle... ) ils ont inventé des concepts, créé des formes et des lieux de réflexion, ils ont ouvert des univers. Ils n'ont pas demandé à être gobés par les Béotiens. C'est en se posant des questions sur les phénomènes qui conduisent un objet à être collé à un autre ( je simplifie ) que Pierre-Gilles de Genne s'est acheminé vers le Prix Nobel de Physique. Fabius aurait, sans doute, bien rigolé de le voir tripatouiller de la Seccotine... En France, pays où tout le monde est très/trop malin, on ne cherche pas à comprendre les artistes... La preuve: l'art est banni de l'école. Banni en effet, l'art commun, celui qui fait dans le beau, en tout cas dans "le beau" tel que l'apprécient les paralysés de la doxa, les englués du bon sens commun, celui des ploucs: formes, couleurs, imitation. de la nature... Mais on s'en doute, chassés, ignorés, rejetés l'art moderne et bien plus encore, "l'art contemporain". Il ne faut pas s'étonner que d'autres pays où les yeux et les cerveaux sont moins fermés ( je pense à l'Allemagne, aux pays nordiques, à la Grande Bretagne, aux Ètats-Unis, à la Corée, au Japon... ) nous laissent loin derrière eux lorsqu'il s'agit de considérer ce que disent les artistes d'aujourd'hui.
Le vieux débat usé sur l'"art contemporain" que relancent parfois les papys et mamys de la pensée artistique n'a finalement que peu d'importance. Beaucoup de jeunes et de moins jeunes, et de plus en plus nombreux, ne s'en laissent pas conter par les aveugles à cannes blanches et à oeillères: il visitent les expositions, les galeries, Beaubourg ( de Paris ) et le Centre Pompidou de Metz, la Fiac, Art Basel, Frieze à Londres... Ils s'initient, s'accaparent les nouvelles formes d'expression... Ils vivent l'art qui poursuit son chemin... malgré les barbons.... et les anciens premiers ministres engoncés dans leurs certitudes. JB
(1) "Le cabinet des douze" de Laurent Fabius, Gallimard, 2010.
À lire aussi: http://www.fluctuat.net/7295-Art-contemporain-Fabius-Le-cabinet-des-douze
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